En créant AlloCiné, Jean-David Blanc a lancé un service au véritable succès populaire. Après le Minitel, le téléphone, il a basculé sur le Web et même la télévision... Il a aujourd’hui quitté Allociné, repris par Canal Plus.
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
J’utilise le Réseau depuis longtemps. Dès 1984, j’utilisais déjà des "services en ligne" depuis mon micro-ordinateur (les modems étaient à l’époque des modems acoustiques à 300Bps !). J’utilisais, entre autres, un service qui s’appelait Calvados en France (devenu Calvacom), et j’étais abonné aux services américains The Source et Compuserve. C’est François Benveniste (à l’époque PDG de Calvacom) qui m’a le premier parlé du Web (réseau ouvert a contrario des réseaux propriétaires tels qu’AOL ou Compuserve) vers 1994 ou 1995.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Le concept d’AlloCiné incluait depuis longtemps la distribution de ses services sur toutes formes de médias. Comme je vous l’ai indiqué plus haut, je suis un utilisateur des réseaux depuis longtemps. Mais à l’époque, on ne pouvait pas parler d’usage grand public. Lorsque j’ai compris que le grand public allait véritablement se mettre à utiliser les réseaux (ouverts ou fermés) je me suis dit qu’il était devenu justifié d’y installer AlloCiné (déjà présent sur le téléphone, les guichets automatiques et le Minitel).
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
En 1994 ou 1995, lorsque François Benveniste m’a parlé du réseau ouvert (le Web), j’ai pensé qu’il était trop tôt pour ouvrir des services à destination du grand public, soucieux d’obtenir une information rapidement et sujette à toutes les formes d’alternatives. C’était l’époque de l’évangélisation. Les acteurs de l’Internet passaient d’ailleurs plus de temps à évangéliser, à expliquer, qu’à construire. En 1997, j’ai senti que l’usage du Réseau allait dépasser le cercle de quelques passionnés pour entrer véritablement dans le grand public et devenir un média. Nous avons ouvert allocine.com cette année-là. Je ne m’attendais pas à une telle accélération et à un tel succès !
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
J’ai souhaité lever les premiers capitaux pour AlloCiné en 1994. À l’époque, j’ai mis deux ans pour convaincre un capital risqueur d’investir 5 millions de francs. L’entreprise s’est autofinancée l’année qui a suivi et est devenue bénéficiaire dès 1997. En 1999, AlloCiné existait déjà depuis cinq ans. À cette époque, c’était tout le contraire du premier tour : les capitaux risqueurs frappaient à notre porte et proposaient d’investir à des valorisations extrêmement élevées. Les services que nous avions lancés marchaient déjà très fort, et j’avais encore en tête de nombreux projets de développement, à la fois nouveaux et complémentaires (chaîne de télévision, boutique de produits dérivés, international, etc.). Nous avons levé les capitaux pour les réaliser. Nous avions à peine bouclé ce second tour de table que le groupe Canal Plus nous a contacté, à son tour, pour nous proposer de s’associer au développement d’AlloCiné. Le pari qui nous a été proposé, la qualité des hommes que j’ai rencontrés et l’admiration que je portais à Pierre Lescure m’ont tout de suite fait accepter leur proposition. Le capital risqueur qui venait d’arriver souhaitait plutôt une sortie en bourse, pensant obtenir une valorisation de l’entreprise bien plus élevée...
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Il faut me semble-t-il séparer deux choses : la frénésie technologique et sociale, et la frénésie financière. La frénésie technologique et sociale (découverte des possibilités du média, invention de nouvelles technologies, création de nouveaux services, espérance en de nouvelles possibilités, de nouveaux espaces), sont du domaine de la prise de conscience que le monde changeait et que la société en elle-même pouvait changer. En réalité, j’étais étonné que la société n’ait pas pris conscience de son changement plus tôt, avec l’arrivée de l’ordinateur personnel dans les années 80, de tous les progrès technologiques qui se sont passés dans les quinze années qui ont suivi, et parallèlement, un nouveau type d’entrepreneurs. Ce déclic s’est fait brutalement en 97 ou 98. C’est devenu un événement, alors que cela aurait dû être une évolution douce. Cette frénésie sociale s’est accompagnée d’une frénésie financière qui me semblait à l’époque, elle aussi, brutale et mais surtout démesurée.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
L’effet Powerpoint ! J’étais sidéré de voir comment certains montaient des dossiers d’investissement sur des sociétés qui n’existaient que sur slides, et obtenaient des fonds faramineux à des valorisations considérables en moins de temps encore. Je me suis dit que là, il y avait un problème, et qu’une "entreprise Powerpoint" ne pouvait pas valoir plus qu’une PME comportant des usines, des magasins, des commerciaux, des ingénieurs, des ouvriers, etc.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je prends une année sabbatique.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Plus que jamais ! Mais je précise : l’Internet ne se résume pas au Web...
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Je crois plus généralement à une voie nouvelle de communication pour les hommes, la culture, le savoir, les services. Cela englobe tout ce que vous évoquez, et de nouveaux usages qu’on ne pouvait pas imaginer avant et dont on découvre à peine les prémisses aujourd’hui.
Comment voyez-vous les années à venir ?
La découverte de ces nouveaux usages, et après cette de prise de conscience brutale, une intégration plus douce.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la "netéconomie" ?
Je ne crois pas à la "netéconomie", mais à ce qu’on appelle la "nouvelle économie", caractéristique des entreprises qui se sont lancées sur le Net, mais pas seulement. C’est un état d’esprit dans lequel toute forme d’entreprise peut s’installer, dès qu’elle se met à innover et se remet en question en permanence, tant dans son organisation que dans ce qu’elle produit.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
L’arrivée du Broadband (permettant la transmission de nouvelles formes de données, en particulier audiovisuelles enrichies), l’arrivée de ces données sur les produits de consommation courants (dans la voiture, la télé, le frigo, le téléphone, etc.), l’invention de nouveaux produits (PDA, et autres)... Tout cela va nous mener, petit à petit, à de nouveaux usages, des modifications de notre quotidien, et finalement l’évolution (positive mais aussi négative) de notre société. Un peu comme l’arrivée de la voiture, du train ou de l’avion nous ont apporté davantage de libertés avec des conséquences sociales, culturelles et économiques, mais aussi les accidents, la pollution...