Frédéric Couchet a créé April (association pour la promotion et la recherche en informatique libre).
Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
J’ai découvert Internet en 1990, je crois, à l’université Paris VIII de Saint-Denis. J’avais entendu parler d’un soft (je ne sais plus lequel) qui était accessible sur un site américain. J’ai demandé à quelqu’un du laboratoire d’intelligence artificielle de me connecter et de pouvoir récupérer le soft.
Pourquoi vous êtes vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Il n’y a pas eu à proprement parler de déclic. Du fait de mes études d’informatique principalement basées sur des systèmes Unix et des logiciels libres, dans un centre où toutes les machines étaient reliées en réseau, et où les étudiants s’échangeaient des programmes et des codes source, j’ai vite eu une culture réseau assez naturelle. Ainsi, quand le centre a été effectivement relié à Internet, l’utilisation a été toute naturelle, seule l’échelle de grandeur a changé.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
J’avoue avoir quelques problèmes de date. Donc, je ne m’en souviens pas vraiment.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Avec amusement et quelques inquiétudes. L’arrivée massive du secteur marchand pouvait laisser présager quelques tentatives de contrôle d’Internet pour favoriser le commerce électronique aux dépens d’un Internet citoyen et solidaire. Donc, la vigilance devait être de mise. Amusé par la folie ambiante autour de la nouvelle économie et de tous ces petits jeunes (ou moins jeunes) qui voulaient faire du pognon avec Internet, sans même comprendre le fonctionnement de celui-ci. L’explosion des logiciels libres me donnait pas mal d’occupation à cette période : conférences, démonstrations, sensibilisation... Ainsi que le soutien, par exemple, à Altern.
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Je n’analyse pas, à vrai dire je m’en fous. Ce qui est bien c’est qu’on n’a pas jeté le bébé avec l’eau du bain.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Bof.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Toujours la même chose : militer pour le libre, et agir pour que la vraie nouvelle économie (celle de la propriété/appropriation intellectuelle) ne se fasse pas au détriment du citoyen et du bien public. Le savoir, les idées et le logiciel, doivent être libres. Ils sont un patrimoine à exclure du champ de la brevetabilité, notamment.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Bien sûr, plus que jamais. Je crois profondément dans la notion de réseau (humain, technique...). Internet donne la possibilité pour la première fois à quiconque de s’exprimer, créer, communiquer à grande échelle et sans intermédiaire. C’est ce qui fait d’ailleurs peur à nos dirigeants.
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Le commerce en ligne existera, il m’arrive régulièrement de consommer en ligne (objets, réservation de billets...). Le web non marchand existera. Il y a la place pour les deux sur Internet (marchand et non marchand). Le secteur non marchand est sans doute plus vivace que l’autre, car il est principalement composé de gens utilisant Internet depuis longtemps. Je pense qu’il manque aussi aux individus, au-delà de la capacité, désormais acquise, de s’exprimer via le Net, la capacité de s’échanger des sommes d’argent. Ainsi, on peut imaginer de créer des nouveaux rapports de rémunération de la création, par exemple pour que les créateurs de musique ou de logiciels libres puissent recevoir des dons minimes des utilisateurs de leur travail. Le développement des micro-paiements pourrait changer notre rapport au commerce, même s’il faudra, pour cela, réinventer des comportements sociaux.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Il faut espérer que la nouvelle génération de kids tombés dans les réseaux prenant le pouvoir (politique, économique, social) apporte une société globalement meilleure. À changement de générations, perspectives différentes.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la "netéconomie" ?
Bof. La vraie économie de réseaux, pas du Réseau, alors ? Moi, les créateurs que j’aime, mes employeurs, l’...tat, les communautés auxquelles j’appartiens, comme autant de réseaux ayant les moyens d’une économie, pas forcément marchande, alors... pas simplement aller tondre le Réseau comme on pille n’importe quel Far West.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
Hummm.... La cryptographie est en train d’arriver. Avec elle, le Réseau va vraiment commencer à être utilisable complètement : beaucoup d’activités migrant du monde réel vers le monde virtuel. Nous devons plus que jamais veiller à ce que les législations soient garantes d’une liberté et d’un progrès pour les individus. Les directives européennes et les lois nationales (LSI) sont de belles bombes à retardement qu’il nous faut désarmer dans les prochains mois si l’on veut continuer à vivre sur Internet et ne pas retourner en 1984. Il se pourrait bien que les ...tats aient à souffrir de cette révolution. Quel nouveau système politique saurons-nous inventer ? Il faut espérer, être optimiste, et prier pour que le disque dur ne crashe pas nos mailbox ;).