Maurice Benayoun, designer et enseignant, est l’un des créateurs les plus innovants. Il réalise notamment des installations en réalité virtuelle et des tunnels d’images.
Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
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J’ai commencé à utiliser le courrier électronique en 93 et j’ai créé mon premier site web en 95 pour une exposition en Australie. Probablement une des premières du genre dans un musée, sur les sites web artistiques : « Kahanamokou and beyond ». À l’époque, mon site était sur le serveur de l’université qui était éteint toutes les nuits à une heure du matin. L’application java s’interrompait et il n’est pas impossible que personne n’ait pu accéder à « Et moi dans tout ça ? », durant l’exposition, en raison du décalage horaire.
Pourquoi vous êtes vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Par nécessité, pour dialoguer avec mes interlocuteurs aux quatre coins du monde sans dépenser des fortunes de téléphone, puis séduit par le potentiel créatif et la nouvelle donne communicationnelle. Un nouveau territoire à explorer, pour construire et se rencontrer, contribuer à la définition des nouvelles règles d’écriture, explorer les nouvelles libertés et les nouvelles limites offertes par le Réseau.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
Quand on a commencé à recevoir la réponse des mails dans la minute qui suivait l’envoi d’un courrier à un interlocuteur français.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
C’était pour nous une période de production intense avec tous les projets d’événements et d’expositions pour l’an 2000. C’était aussi une période d’illusions, où l’on tentait de construire des partenariats pour développer des projets qui n’étaient pas toujours faciles à interpréter par des interlocuteurs qui ignoraient tout des agents intelligents et des interfaces 3D. Projets qui ont, par la suite, été différés par la première vague de crise des dotcoms.
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
La ruée vers l’or est un phénomène qui n’est pas nouveau, rappelons que les pionniers sont ceux que l’on trouve sur la route de l’Ouest avec une flèche dans le dos. Mais il n’y avait pas que des pionniers. Beaucoup croyaient dans la copie littérale de modèles américains ou de marchés venant du commerce traditionnel, simplement adaptés au Réseau. C’était parfois juste, souvent illusoire. La communication et le commerce en réseau relèvent aussi de nouveaux modes d’appropriation et d’échange. La tendance était aussi de soutenir les projets mono produits avec ce que cela implique de risques plutôt que de stratégies à long terme.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Boo ?
Que faîtes-vous aujourd’hui ?
Je continue d’explorer les marges du numérique. Les passages du réel au virtuel, partant du Réseau et de la réalité virtuelle pour tenter l’intégration de ces potentialités dans l’espace public (projet de station de métro interactive Franklin Roosevelt avec Jean Nouvel, parcours multimédia de l’abbaye de Fontevraud, exposition « l’homme transformé » à la Cité des sciences, installations artistiques mêlant réalité virtuelle et Internet (« Art Impact, Collective Retinal Memory », « Far-Near »...).
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Faut-il croire au téléphone, à la télévision, au réseau routier, à la ville, au dialogue, à l’information, à l’oubli, à la guerre...
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non-marchand ?
Peu d’espaces publics échappent au commerce, pourquoi Internet ferait-il exception ? En tant qu’espace d’échange et de communication, Internet n’aura que l’usage qu’on en fera. Par chance, beaucoup pensent encore que le commerce n’est pas la seule possibilité de réalisation et la seule finalité d’action. Le Web ne sera donc pas « marchand ou non marchand ». Il ne sera ni meilleur ni pire que le « hors-Net » (le réel ?) auquel nous tentons désespérément de nous accoutumer.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Une évolution plus lente, moins frénétique. Un lent processus de maturation, des tentatives nombreuses et souvent infructueuses d’humanisation, de respect des individus, d’ouverture aux communautés qui ignorent, pour des raisons culturelles et financières, jusqu’à la possibilité de découvrir ce qui sera, peut-être, la seule solution de sortir de l’isolement ou de l’échec ou au contraire de se faire convertir en « nouveaux marchés ».
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la « netéconomie » ?
Une matière neuve, laissons-la aux spécialistes, c’est probablement les pratiques qui la définiront en creux, comme négatif des erreurs et des échecs.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances, et que vont-elles apporter ?
La disparition de l’ordinateur comme objet. L’intégration du Réseau à l’environnement quotidien. La fusion des médias. La personnalisation dynamique de l’accès à l’information. Le virtuel comme élément « d’augmentation » – pour reprendre le terme technique – de notre environnement, la fiction immersive, la transformation des églises en musées, des musées en serveurs, des serveurs en entités autonomes semi-organiques, des operating systems en sources de plaisirs, des organismes vivants en êtres pensants, des êtres pensants en entités critiques, et enfin le retour au contact direct avec la matière, dans l’échange (le dialogue) et le plaisir.