En créant RépublicAlley, Laurent Edel ne pensait pas qu’il allait avoir Jacques Chirac en visite. Aujourd’hui, Chirac n’a pas prévu de repasser, mais l’aventure continue dans l’incubateur parisien.
Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
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En 1996, à mon retour de deux années passées dans un pays en effervescence, le Vietnam. J’étais heureux de découvrir, enfin, l’émergence d’un phénomène nouveau en France.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Pour un jeune de 25 ans comme moi, se lancer dans Internet, c’était tracer sa propre voie ; défricher ; développer. Pour la première fois, l’excitation que j’étais aller chercher à l’autre bout du monde, était possible en France. Aux premiers pas en tant que concepteur rédacteur dans l’agence Pictoris (Agency, maintenant), j’ai compris que je ne m’étais pas trompé de voie.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
À l’été 1998, j’ai passé trois mois à attendre en France un visa qui allait me permettre de retourner dans la Silicon Valley poursuivre une première année de veille technologique pour l’Atelier de Paribas. En fait, je ne suis pas reparti à San Francisco, car avec Jean-Michel Billaut, on avait décidé de lancer un roadshow européen. C’était le bon timing, l’Europe décollait. En un an, j’ai accompagné 32 start-up qui ont levé 150 millions d’euros.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Mes plus belles années... (en temps Internet). Porté par une magnifique énergie collective, j’avais le sentiment que nous avions tout pour réussir à changer quelque chose (« make a difference », comme disent les Californiens). J’ai lancé Republic Alley, la communauté, puis l’incubateur.
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Nous étions dopés à l’optimisme, ça nous faisait construire et réussir. Je crois que la France en avait grandement besoin. Le tableau était noir pour la génération drogue–sida-chômage. On coupait les ailes des jeunes, avant qu’ils n’aient le temps de s’envoler. Il fallait également rattraper le train technologique mondial.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
L’effondrement des premières valeurs Internet du Nasdaq, en mars 2000, qui s’est ensuite répercuté sur le Nouveau marché.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis fondateur, principal actionnaire et administrateur de Republic Alley. Je continue ainsi à prendre part aux décisions stratégiques de la société. Comme j’ai un peu plus de temps qu’au démarrage, je peux me consacrer à ce que j’aime le plus : être à la source de nouveaux projets. Dans ce sens, je suis parti récemment dans la Silicon Valley. J’en rapporte une passion pour un nouveau sujet : l’énergie, un secteur qui va connaître des évolutions aussi fortes que l’informatique et les télécommunications. Je pense aussi aider des jeunes sociétés technologiques à se développer et à communiquer. Par ailleurs, je continue à m’investir dans le rôle de catalyseur de l’industrie Internet. À travers la Commission Raphaël. Un club de prospective que j’ai créé avec Christophe Fery et Patrick Falfus de Ptolémée.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Je crois plus que jamais à Internet. 60 % des Américains utilisent Internet. C’est un marché mûr aux ...tats-Unis. La France a encore du chemin à faire. De plus en plus de sociétés Internet viennent aujourd’hui à maturité et dégagent des bénéfices. Les efforts de recentrage et de réduction de coûts ont payé pour des sociétés aujourd’hui profitables comme Priceline, Expedia, Travelocity.
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non-marchand ?
Oui, deux types de sites peuvent coexister. Avec d’un côté, les sites d’expression, les pages perso, l’information associative. Et de l’autre, côté, le e-commerce. Pour l’instant, le grand gagnant, c’est le secteur du tourisme sur Internet avec 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires, devant l’informatique avec 5 milliards d’euros.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Dans les années qui viennent, le marché de l’investissement reviendra à la situation précédant l’explosion de 1998. Des levées de fonds beaucoup plus sélectives et moins nombreuses. Une quarantaine d’IPO par an, la moyenne de la période 1985-1997, contre les 400 en 1999. Il faudra sans doute attendre 2005 avant de connaître une nouvelle explosion de la croissance. Enfin, de nouveaux secteurs émergent actuellement aux ...tats-Unis. Les applications logicielles verticales : pour les ressources humaines (Emloyease), pour l’immobilier commercial (Ibuilding) ou pour la gestion des écoles (VIPtone). L’informatique temps réel (Knowhow). Les réseaux de services web (Grandcentral).
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la netéconomie ?
Oui. Il ne faut pas se laisser atteindre par la sinistrose. L’émergence, puis la fermeture de certaines sociétés Internet est vécue comme un drame. On aime se faire du mal, alors que l’on vit un cycle. La France semble découvrir les cycles de la technologie. Ils durent entre dix et douze ans et connaissent trois phases tant financières que commerciales : la naissance de nouvelles sociétés ; puis leur entrée en bourse et l’accroissement de leurs valeurs ; enfin la baisse des cours boursiers et le ralentissement des ventes de leurs produits.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances, et que vont-elles apporter ?
Les élections présidentielles risquent d’être un non-événement. Il n’y aura pas d’Al Gore français. Alors que nous aurions besoin d’un "de Gaulle d’Internet". Un président capable de donner une vision pour la société du futur. Je suis impatient de voir les programmes des candidats sur l’emploi et les technologies ; la sécurité et les technologies ; l’éducation et les technologies ; la santé et les technologies, etc. Enfin, je souhaiterais voir le renforcement du marché européen. Je souhaiterais que tous les citoyens européens acceptent l’idée que notre seul futur c’est une Europe unie et puissante.