Le sénateur René Trégouët est un des principaux avocats de l’Internet au Sénat. Et un pionnier dans l’installation du haut débit en province.
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
J’ai commencé à me servir régulièrement d’Internet début 1996, mais uniquement pour de la messagerie, dans un premier temps. Je l’ai fait dans le cadre de l’entreprise dont j’étais alors responsable.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Pour moi, le réel déclic est lié à la mission qui m’avait été confiée par le Premier ministre fin 1996. Cette mission m’avait permis de rencontrer (sur la Toile) de nombreux pionniers de l’Internet et de me faire prendre conscience de l’importance de ce protocole universel.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
En 1998, j’ai vraiment cru que la France allait rattraper son retard. Malheureusement, les vents contraires qui se sont levés à partir du second semestre 2000 rendent plus difficile ce décollage.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Par de nombreuses conférences, de nombreux éditos, j’ai essayé (en vain, puisque je n’ai pas été entendu...) de dire que l’optimisme d’alors n’était pas raisonnable et qu’en particulier les gouvernements et majors européens des télécoms avaient tort de se laisser tenter par cette ambiance un peu folle !
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Comme un spasme pendant lequel les plus folles espérances technologiques étaient en phase avec les plus folles « certitudes » boursières...
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
En Europe, ce signal fut sans conteste l’attribution (totalement déraisonnable) des fréquences UMTS par vente aux enchères à Londres. L’Europe est alors entrée dans un processus qui la mettra à genoux, si ses principaux gouvernements et les majors des télécoms ne reconnaissent pas, rapidement, qu’ils se sont trompés en choisissant cette voie qui a endetté de 2 000 milliards de francs l’un des secteurs essentiels pour l’avenir et ce pour une technologie qui ne fonctionnera pas avant cinq ans...
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je continue avec ténacité ma mission de sensibilisation pour faire comprendre que notre monde est en train de changer d’époque.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Demanderiez-vous à quelqu’un si l’écriture, le livre ou le téléphone sont nécessaires à l’avenir de l’humanité ?
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Le commerce en ligne sera le commerce de l’avenir à partir du moment où il s’appuiera sur des modèles économiques crédibles. Les champs de progression sont immenses et nous ne pouvons pas encore imaginer comment ce monde nouveau va changer notre vie. Le Web non marchand est co-substantiel d’Internet comme le conte et la conversation le sont de la veillée. Mais là, au lieu que le théâtre d’expression soit le coin de cheminée ou la place publique, l’agora potentielle prend la dimension, à terme, de l’ensemble de l’humanité.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Fort toniques.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la « netéconomie » ?
Bien sûr, si nous savons que le gratuit n’a pas de sens pour acquérir ou utiliser des choses matérielles ou immatérielles de valeur. Soyons très nombreux à comprendre qu’il est préférable que nous soyons un million à accepter de donner 1 franc pour bénéficier d’un objet ou d’une œuvre plutôt que de constater qu’un seul individu peut bénéficier de cet objet exceptionnel parce que lui a la possibilité de le payer 1 million de francs. La « netéconomie » n’est pas l’économie du gratuit mais l’économie du partage : c’est là que se trouve l’enjeu de l’avenir.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
Ces grandes échéances ne sont encore inscrites sur aucun calendrier car elles ne sont ni politiques ni économiques, comme beaucoup le pensent mais essentiellement culturelles. Tout basculera le jour où, dans les principaux pays de notre monde, la jeunesse ayant la même approche de l’avenir s’associera pour prendre les commandes. En effet, les hommes actuellement au pouvoir dans les principales démocraties n’ont pas encore pris conscience que la véritable révolution de notre temps n’est ni technologique, ni financière, ni économique mais bien culturelle. Pour la première fois dans l’histoire de l’homme, ce ne sont pas les hommes au pouvoir qui s’emparent les premiers de l’outil qui va changer le destin de notre planète mais bien la jeunesse et souvent même les plus jeunes de cette nouvelle génération. Il est stupéfiant de constater la cécité qui frappe les responsables actuels : il ne faudra pas qu’ils soient surpris quand, dans quelques (courtes) années, une nouvelle génération leur demandera de s’effacer. Il est devenu très « chic » de parler d’Internet mais, quand on va un peu plus loin, on est frappé par le nombre ridicule de responsables qui font l’effort de se servir tous les jours de ce nouvel outil. Accepterions-nous d’être dirigés par un ministre ou un patron qui ne saurait pas lire et écrire ?