Le juge des référés parisien n’a pas vraiment ordonné, mardi 30 octobre, aux fournisseurs d’accès de filtrer le portail Front 14. Mais quand même un peu.
Jean-Jacques Gomez a ménagé le suspense. Mardi 30 octobre, le juge des référés du tribunal de Paris livrait sa décision dans l’affaire J’accuse !, parvenue à son terme après une longue série d’audiences, inhabituelle pour une procédure d’urgence. Le " juge de l’Internet ", comme le surnomment certains, a laissé l’incertitude planer pendant qu’il rappelait les principaux points de la procédure engagée par des associations antiracistes contre 13 fournisseurs d’accès (FAI) et l’association qui les représente : l’association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA). Action au centre de laquelle figure la demande de bloquer, pour les internautes français, l’accessibilité au portail néo-nazi Front 14. Puis le juge a rendu le jugement tant attendu. Il " laisse aux fournisseurs d’accès, sous l’animation ou en collaboration avec l’AFA, le soin de déterminer librement les mesures qui leur apparaîtront nécessaires et possibles en l’état des moyens techniques existants, dans le prolongement du constat du caractère illicite du portail Front 14 ".
Invitation
La formule, alambiquée, évoque la non-décision. Elle laisse libre la déduction du filtrage des sites, suggéré aux fournisseurs d’accès, sans mentionner la mesure. Elle suit, surtout, une longue déclaration plus proche d’un manifeste de politique générale que d’un texte de droit. Qui met en garde contre l’inanité d’une autorégulation du réseau " de plus en plus livré à la démesure ", contre le risque des " paradis électroniques " ; et critique " la neutralité des prestataires techniques, à l’encontre desquels les victimes ne seront plus à même de faire réellement valoir leurs droits ". Autrement dit, comme le résumera Nicolas Brault, avocat d’un fournisseur d’accès, la décision du juge est " une invitation " et montre que les FAI " participent à une régulation du Net sans obligation juridique ". Réponse, un brin désabusée, de Michel Zaoui, l’avocat de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) : " on ne vous impose qu’une obligation morale ". Les plaignants, à dire vrai, ne sont pas illustrés par une grande rigueur juridique.
Tout le monde gagne ?
Si Marie-Hélène Tonnellier, avocate de l’AFA, se réjouit que les fournisseurs d’accès ne soient pas considérés fautifs, Stéphane Lilti, avocat de J’accuse !, temporise avant d’évoquer un motif de satisfaction assez hypothétique : " c’est la première fois que l’argument de la neutralité des prestataires est balayé par le juge ". En attendant, le militant antiraciste Marc Knobel procède à une mise en garde : " la balle est dans le camp des fournisseurs d’accès ". Autrement dit, à eux de filtrer. Car sinon, affirme le représentant de l’association J’accuse !, il reviendra devant le juge " avec une autre affaire ".
En attendant, chacune des parties aura jugé que la décision n’a pas été prononcée contre elle. Olivier Devalez, le néo-nazi assigné par J’accuse ! n’est pas venu à l’audience. Il se voit imposer par le juge mettre fin à la diffusion du site de l’Eglise mondiale du créateur, abrité par Front 14, sous astreinte de 1000 francs par jour. Car pour Jean-Jacques Gomez, qui reprend un argument des associations, l’intégralité du portail est condamnable, dans la mesure où il s’articule sur une " charte éditoriale " manifestement illicite, acceptée par les différents sites abrités par Front 14. En conséquence, il demande à l’hébergeur du portail de " préciser dans les dix jours de la notification de la décision, les mesures qu’il compte prendre afin de mettre fin au trouble ". L’hébergeur en question bien sûr, est domicilié aux USA.