L’esquisse d’une proposition de loi émanant du sénateur américain Hollings rendrait illégal l’achat de matériel et de logiciels n’intégrant pas un mécanisme de protection du copyright agréé par le gouvernement.
Les Américains vont-ils devenir des criminels s’ils écoutent leurs disques transcrits au format MP3 sur leur disque dur ? S’ils transmettent par e-mail l’actualité du cours de bourse d’une action qu’ils viennent de consulter sur un portail spécialisé ? S’ils utilisent un e-Book européen, donc non soumis à la réglementation US, pour lire un livre américain ? C’est apparemment vers ce sombre futur qu’on se dirige, si l’avant-proposition de loi du sénateur Hollings passe la rampe du vote par le Congrès. Le texte, encore secret, a été dévoilé par Wired et Webnoize la semaine dernière. Le Security Systems Standards and Certification Act stipule qu’"il est illégal de manufacturer, importer, offrir au public, fournir ou trafiquer de quelque manière un appareil numérique interactif qui n’inclut et n’utilise pas de technologies de sécurité certifiées". Les ordinateurs, logiciels, enregistreurs audio et vidéo, assistants personnels, e-books devront tous intégrer les dispositifs de gestion numérisée des droits (Digital Rights Management) ayant reçu l’aval du gouvernement !
Embastillé par le FBI
Le secrétariat au Commerce laisserait un an aux constructeurs et aux éditeurs de logiciels pour se concerter sur les meilleures spécifications. Après quoi tous se verraient contraints par la loi d’intégrer la nouvelle norme – probablement LES nouvelles normes, d’ailleurs, et toutes sans exception sur chaque plate-forme. Quant aux utilisateurs, il leur serait tout simplement interdit d’acheter un ordinateur ou un lecteur MP3 non homologué. Si la possibilité d’autoriser une copie par œuvre est ouverte, aucune mention n’est faite dans le texte du mot fair use, qui recouvre les exceptions légales au copyright. Le SSCA parachève l’édifice liberticide bâti avec le Digital Millenium Copyright Act, voté en 1998 et entré en vigueur en 2000. Le DMCA interdit en effet de contourner ou de subvertir les dispositifs technologiques de protection du copyright. C’est au nom de ce texte pour l’instant sans équivalent en Europe que le Russe Dimitri Sklyarov a été embastillé par le FBI, lors d’un voyage en terre de copyright.
Les gros sous du lobbying
Les détenteurs de copyright ? Ils sont aux anges – il s’agit bien entendu des éditeurs, et non des auteurs, dont l’enrichissement dépend moins de tels textes. "C’est une approche excessivement modérée et raisonnable", prétend un dirigeant de Walt Disney cité par Wired : "Nous pensons que cela va probablement faire décoller la révolution du haut débit, parce que le contenu de divertissement créera une demande auprès des consommateurs." La bonne vieille rhétorique de 1998 ressort des cartons : si les ...tats-Unis ne font pas au moins ce geste pour protéger le copyright, ils seront pillés par les pirates étrangers. L’industrie de l’information, qui fait la puissance de l’Amérique, s’effondrera, entraînant le pays dans sa chute. Webnoize analyse également les dessous d’une affaire plus liée aux financements politiques qu’à la gloire nationale. Les groupes de communication comptent parmi les principaux donateurs de la campagne électorale du sénateur Hollings : AT&T, numéro un, lui a offert plus de 35 000 dollars, AOL Time Warner, numéro trois, 33 500 dollars, suivis de l’Association nationale des diffuseurs (22 000 dollars), de News Corp (plus de 28 000 dollars), de Walt Disney (18 500 dollars), de Viacom CBS (16 600 dollars). Quant aux constructeurs informatiques, pas franchement favorables à une loi qui rendrait brusquement inutiles tous les standards de DRM développés ces dernières années au prix fort, ils sont absents du budget électoral du Sénateur. Le droit à la culture, à l’éducation, ne serait-il plus q’une histoire de gros sous ?