Depuis quelques mois, un bras de fer oppose la section CGT de la SSII Steria et la direction à propos de l’utilisation du Web et des messageries électroniques par le syndicat et les employés. Interview du délégué syndical central de l’entreprise, Hocine Chemlal.
Chez Steria, une importante société de services et d’ingénierie informatique (SSII), les salariés disposent depuis des années d’un accès au Net et d’un Intranet, mais aucune information ne filtre sur les moyens de surveillance électronique utilisés par la direction. En avril 2001, Hocine Chemlal, délégué syndical CGT, se voyait sanctionné pour avoir envoyé deux e-mails d’information syndicale ; en mai, les salariés de la société découvraient qu’ils ne pouvaient plus accéder à certains sites en ligne... Entre autres, celui de la CGT. Depuis, des négociations sont en cours entre les représentants de la CGT et la direction, sur une réglementation de l’usage d’Internet par les syndicats. Mais l’échange s’annonce déjà difficile compte tenu des réticences de la direction à informer son personnel. Hocine Chemlal, fait le point sur les tractations. Interview.
Où en êtes-vous des négociations avec la direction ?
La direction veut bien discuter d’une réglementation de l’usage d’Internet, c’est-à-dire qu’elle entend nous laisser un accès limité à l’Intranet. Nous pourrons nous en servir mais sans avoir le droit de communiquer avec les salariés par l’intermédiaire de cet affichage virtuel. Ce n’est pas du tout ce que nous voulons, au contraire. L’Intranet doit pouvoir servir de relais d’information entre syndicat et salariés, ce qui nous est pour l’instant interdit. C’est d’ailleurs pourquoi en avril, j’ai eu recours à l’e-mail pour faire passer des informations aux salariés avant d’être sanctionné. Or, il faut bien comprendre que l’e-mail est devenu le moyen le plus efficace pour informer les salariés de l’entreprise. Steria compte environ 5 000 personnes et 80 % d’entre elles sont dispersées dans toute la France chez nos clients. Dans cette configuration, la distribution de tracts a peu d’impact, il faut nous adapter aux nouveaux moyens de communication. Ce que la société ne tient pas à faire, excepté peut-être pour surveiller ses salariés.
Quels sont les moyens utilisés par l’entreprise pour contrôler l’usage d’Internet par les salariés ?
Actuellement, il n’y en a pas. Enfin, d’après ce que nous a dit la direction. Le logiciel de filtrage, qui avait été mis en place en mai 2001, a été suspendu par la direction début juillet au prétexte qu’il s’agissait d’un simple test. Je pense que c’est en partie dû à notre contestation. Ce filtrage a été mis en place au moyen du logiciel Websense pour limiter le surf des salariés. Nous nous en sommes rendu compte car certains employés nous ont alerté. Ils ne pouvaient plus accéder à certains sites comme ceux des supermarchés en ligne. Le site de la CGT était lui aussi inaccessible. Quand on essayait de s’y connecter le serveur renvoyait le message "identifié dans la catégorie activiste". Par contre, les sites pornographiques et des sites comme celui du Hezbollah ou de l’ETA n’étaient pas bloqués... Nous avons donc écrit une déclaration, que nous avons présentée au comité d’entreprise à la fin du mois de juin, pour informer les salariés du groupe. Mais la direction et le comité d’entreprise, dont les représentants appartiennent en majorité à la CGC regroupée avec les listes indépendantes, a refusé de transmettre cette déclaration au personnel. D’après la loi, la direction n’a pas l’obligation d’informer les salariés de ce qui se dit au CE. Donc pour l’instant, nous avons peu de moyens de faire passer notre message, mis à part celui d’expliquer nos revendications autant qu’on le peut aux salariés et de mettre le débat sur la place publique.
Les négociations que vous menez aujourd’hui avec la direction portent-elle aussi sur la surveillance du surf des salariés ?
La direction ne semble pas vouloir aborder la question pour l’instant. Mais, nous, nous voulons évidemment la mise en place d’une charte de réglementation autour de l’utilisation d’Internet et des messageries électroniques. Nous voulons savoir dans quelle mesure ce logiciel, mis en place un temps par la direction, peut tracer le surf des employés, quel est le prestataire qui a été chargé de la mise en place du système, si ce traitement des données a été déclaré à la CNIL, quelles sont les fonctionnalités de ce produit etc. C’est toutes ces demandes qui étaient contenues dans la déclaration que nous n’avons pas été autorisée à diffuser aux salariés.
Quels sont alors aujourd’hui vos moyens d’action ?
D’une part, nous continuons les négociations avec la direction en espérant obtenir plus de transparence. D’autre part, nous voulons obtenir une décision de justice concernant les e-mails syndicaux. Une audience devant le tribunal des prud’hommes aura lieu en mars, concernant la sanction dont j’ai fait l’objet (un avertissement officiel de la part de la direction) pour avoir envoyé deux e-mails aux employés. Sachant que je n’ai même pas utilisé le matériel de l’entreprise pour envoyer ces messages, ils sont partis depuis les ordinateurs de la fédération CGT. Donc, si nous obtenons du tribunal qu’il admette la non justification de cette sanction, ce sera une façon de nous reconnaître le droit d’user d’une messagerie électronique pour les informations syndicales. Cette utilisation pourra ensuite, bien sûr, être réglementée pour ne pas encombrer les serveurs de l’entreprise. Mais nous n’en sommes pas encore là.