Le gouvernement afghan interdit de nouveau tout usage du Réseau, se réservant l’unique accès du pays. Ce raidissement a attiré une attaque de hackers sur l’un des sites officiels.
Les talibans ne sont pas des chantres de la modernité et tiennent à le prouver une fois de plus. Samedi 25 août, le mollah Mohammad Omar, chef suprême des talibans, a interdit, par décret, tout usage d’Internet en Afghanistan. Communiquée par la radio officielle, l’interdiction émanerait du ministère pour la Promotion de la vertu et la prévention du vice, une police religieuse déjà connue pour avoir banni des choses aussi diverses que le rasage pour les hommes, la télévision, les magnétoscopes, la langue anglaise, les cours d’informatique, la musique ou les images représentant des êtres humains. Le prétexte est bien sûr le caractère anti-islamique, vulgaire et immoral du Réseau mondial. Chargé de poursuivre les contrevenants, le ministère appliquera des peines qui n’ont pas été précisées mais aussi dures que l’application fanatique de la loi islamique le permet. Selon le décret, il revient au Bureau des communications de "trouver les moyens de garantir que toute utilisation d’Internet deviendra impossible". Les talibans ont enfin précisé qu’ils conservaient un seul point de connexion, sous le contrôle d’un "homme de confiance", dans le bureau du mollah situé à Kandahar, une ville du sud du pays où résident la plupart des leaders islamistes.
Obsession ancienne
Si cette décision est spectaculaire, elle ne change, en fait, que peu de choses à la situation réelle d’Internet en Afghanistan. Ravagé par deux décennies de guerre, le pays a un réseau d’électricité dévasté, très peu de lignes téléphoniques, encore moins d’ordinateurs et bien sûr aucun fournisseur d’accès. Les 22 millions d’Afghans n’ont donc pour ainsi dire aucun moyen de se connecter au Réseau. De plus, l’aversion pour Internet n’est pas une nouveauté pour les taliban qui, depuis leur arrivée au pouvoir en 1996, s’appliquent à établir un émirat islamique. En juillet dernier, ils interdisaient déjà Internet dans des circonstances similaires. À l’époque, l’association Afghan Islamic Press (AIP), basée au Pakistan, citait les déclarations du ministre des Affaires étrangères taliban, Maulvi Wakil Ahmad Muttawakil : "Nous voulons établir un système par lequel nous pouvons contrôler tous les contenus mauvais, obscènes, immoraux et anti-islamiques."
Opposition en ligne
La nouvelle interdiction ne fait donc que renforcer la pression qui pèse sur les quelques personnes qui peuvent se connecter grâce à des lignes de téléphones satellitaires et des fournisseurs d’accès pakistanais. Les membres du gouvernement et de l’administration afghane devront désormais faire une demande officielle par lettre auprès du bureau du mollah qui contrôle le seul point d’accès. Parmi les rares internautes se trouvaient également quelques ONG et médias étrangers, déjà dans la ligne de mire du régime, hostile à toute influence extérieure. Dans un pays qui n’a pas de service postal et un réseau téléphonique très précaire, le coup est dur. Selon un photographe italien présent sur place en septembre 2000, le commandant rebelle Massoud, dont les moujahidines tiennent encore la vallée du Panjshir (nord de Kaboul), disposerait d’une adresse électronique et la consulterait de temps en temps, via un téléphone satellitaire. Autre cible du régime, l’association Rawa (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan) édite un site activiste à partir du Pakistan, où elle s’est réfugiée. Pour Mehmooda, une des responsables de Rawa, "les talibans sont des criminels éhontés qui feront tout ce qui est en leur pouvoir pour museler Internet parce qu’ils ont une peur mortelle d’apparaître au monde entier comme les théocrates les plus incultes". En effet, le Réseau est également un espace d’expression de plus en plus prisé par la très nombreuse diaspora afghane. L’ONG Afghan Women’s Mission, basée en Californie, apporte ainsi un soutien précieux à Rawa en lui permettant notamment de récolter des dons d’argent ou de matériel informatique.
Hacking de talibans
Peu soucieux du paradoxe, les talibans utilisent tout de même Internet comme moyen de promotion, depuis plusieurs années, notamment à travers des sites officiels. L’un d’entre eux, taleban.com, a d’ailleurs été pris pour cible par un hacker, quelques heures après l’annonce de samedi. Sous le pseudonyme RyDer, le pirate a remplacé la page d’accueil du site par une diatribe contre les talibans : "Pourquoi interdisez-vous l’Internet ? Je n’ai rien contre les musulmans, mais vous ne pouvez être que stupides." Ce type de piratage, appelé defacement dans la communauté hacker, est pas très difficile à réaliser techniquement mais permet de faire passer des messages de protestation politique contre une entreprise ou un gouvernement. Dans un deuxième message, RyDer lance une apostrophe à des internautes dont il aurait reçu des insultes par mail : "Bande de barbares ! Que faites-vous aux ...tats-Unis ? Vous vous dites “guerriers” mais vous planquez vos fesses dans d’autres pays. Libérez l’Afghanistan !" Les responsables de Rawa reçoivent régulièrement, elles aussi, des menaces par mail. Mehmooda raconte également que des proches des talibans avaient, l’année dernière, mis en ligne deux sites parodiques insultant les femmes de Rawa, qui ont depuis été retirés suite aux plaintes par mail de sympathisants anti-talibans.