La crise de la nouvelle économie, et ses milliers d’employés, reste discrète, comme si elle était virtuelle. Pourquoi cette différence de traitement entre grosses boîtes et start-ups ?
Emblématique cette discrétion sur la très sévère dépression sociale que traverse les starts-ups.fr. Je dis bien sociale, car les articles ne manquent pas sur le crash de la netéconomie, suite à l’effondrement de la pub numérique et informatique. En revanche, il est très frappant de voir que les papiers, publiés ici ou là, ne font, souvent, pas même allusion au siège géographique de l’entreprise qui annonce un dépôt de bilan ou des méga difficultés. Boulogne ? Issy-les-Moulineaux ? Montreuil ? Le Sentier ? Non, nulle part. Le lieu reste virtuel à la manière d’un jeu en ligne deuxième monde. Pareil pour les hommes et les femmes (des presque alias) qui, du jour au lendemain, se retrouvent aux Assedic, recyclés dans un statut précaire, ou dans un emploi déqualifié. Pourquoi cette différence de traitement avec ceux de Danone ou Bata ? Première explication : les « start-upers » (notez que ce terme confond les actionnaires et les employés), se la sont joués grande gueule, ont prétendu révolutionner l’économie et, en plus, il sont jeunes... Alors, « camembert ! »... Délicat tout de même pour ceux qui ont, entre temps, fondé un foyer, pris des crédits, engagé l’avenir et écouté les plans gouvernementaux.
Pour s’en convaincre, relisons l’appel de Hourdan du Premier ministre, sur l’horizon radieux d’Internet...
CDI intérimaires
La seconde raison est plus profonde. Notre législation sociale, comme le rappelle le juriste Jean-Emmanuel Ray dans son très remarquable ouvrage Le droit du travail à l’épreuve des NTIC (1), reste calée sur le « modèle Billancourt des années soixante ». Les dispositions concernant la sécurisation de la mobilité du travail restent filandreuses, confuses, trouées, et prises de tête. Pour ne rien dire des 35 heures en stand-by côté PME et TPE. Oui, pourquoi, dans un pays qui invente le TGV, la formation professionnelle demeure-t-elle aussi archaïque ? Fossilisée. Kidnappée par les grandes boîtes. Comment justifier que, dans la richissime région parisienne, où l’e.administration est embryonnaire et cafouilleuse, les sites de mairie nullissimes, l’initiation scolaire aux nouvelles technologies en jachères, les job passerelles ne soient pas naturels. Pour que les webmasters, les journalistes en ligne, les graphistes ou les maquettistes puissent alternativement passer d’un statut de salarié à un statut de formateur ou de conseil dans le public ou le para-public, pour revenir ensuite vers le privé ? Libération a récemment décrété, en une, que Le Net, à bien y regarder, c’est pas grand-chose : faire cela, ce n’est rien d’autre qu’épouser la problématique casino. Et la psychologie infantile des Nasdaqueurs. Si l’e.commerce marche beaucoup mieux en Allemagne et en Grande Bretagne qu’en France, c’est que gisement d’emploi, d’activité, de créativité, il y a. Il serait donc grand temps d’adapter le code duu travail et non de se laisser, à chaque fois, surprendre par les creux et les hoquets de la croissance. En divisant le peuple salarié en deux. Ceux qui bénéficient d’une cotte de maille statutaire et syndicale. Et les autres, les externalisés, les « CDI intérimaires » qui encaissent les chocs. Se stérilisent. Et stérilisent l’avenir.
*Guillaume Malaurie est rédacteur en chef
au Nouvel Observateur
(1) ...ditions Liaison, collection « Droit Vivant », 125 francs