Une gigantesque manifestation regroupant, selon les organisateurs, 300 000 militants anti-mondialisation s’est déroulée, samedi, à Gênes. Malgré plusieurs affrontements entre casseurs et forces de l’ordre, la journée s’est déroulé dans le calme, la détermination et la dignité. De notre envoyé spécial, Alexandre Piquard.
"300 000 ! On vient de m’annoncer que nous ne sommes pas deux cent mille mais 300 000 ! ", hurle au micro Raffaela. Sur la scène de la Piazza Ferraris, face à la gigantesque marée humaine des manifestants anti-mondialisations, cette organisatrice du Genoa Social Forum (GSF, Forum social de Gênes) n’en croit pas ses yeux. Une immense clameur et des milliers de poings tendus lui répondent. "C’est un miracle ", dira plus tard Vittorio Agnoletto, responsable, lui aussi du GSF...
Et, effectivement, la scène tient peut-être du miracle. Malgré les violents affrontements de la veille ; malgré la mort de Carlo Giuliani, ce militant de 23 ans tué par les carabiniers ; malgré les multiples mesures prises pour empêcher les militants de rejoindre Gênes (aéroports et gares fermés, accords de Schengen suspendus...) ; malgré, surtout, l’indifférence des leaders du G8 qui ont poursuivi leurs discussions comme si rien ne s’était passé, le cortège unitaire des anti-mondialistes a défilé, comme prévu, samedi.
Ils étaient donc 300 000, selon les organisateurs ; la moitié, selon les forces de l’ordre. Ils s’étaient donné rendez-vous via Caprera et, en début d’après-midi, le cortège a démarré.
Ambiance plutôt calme, dans les rangs des manifestants, qui longent le bord de mer, avant de rejoindre le Corso Sardegna. La foule entonne "Bella Chao", quelques airs révolutionnaires italiens, un peu de Manu Chao, lève quelques drapeaux rouges mais scande surtout les slogans du jour : "Berlusconi assassino" (Berlusconi assassin), ’G8 assassin !’ ,"Carlo e vivo" (Carlo est vivant). Et en tête du cortège, une immense banderole proclame, en italien, "Vous êtes le G8, nous sommes six milliards !" Des centaines de doigts d’honneur se lèvent lorsque les hélicos survolent la foule.
Sur le parcours, la police, qui a visiblement reçu des ordres précis, se fait discrète et a pour consigne de ne pas répondre aux manifestants qui la conspuent. Les affrontements les plus violents entre membres du Black Bloc et forces de l’ordre se déroulent ailleurs : près de la piazza Kennedy et autour de la gare de Gênes et l’on parle, déjà de dizaines et de dizaines de blessés.
Mais la manifestation pacifiste arrive, sans trop de difficultés, sur la Piazza Ferraris. Sur la scène, les responsables se succèdent au micro. Christophe Aguiton, d’AC (Agir contre le chômage) se félicite de cette journée historique et affirme qu’est née, à Gênes, "une alliance internationale, sans précédent, souple et flexible".
Un peu mollement, une chanteuse reprend "Imagine" de John Lennon. Quelques sifflets fusent : un peu trop cliché, un peu trop calme, pour cette journée-là, sans doute, la jolie chanson des Beatles... Moment d’intense émotion et minute de silence, en revanche, lorsque, sur scène, est lu un message des parents de Carlo Giuliani. "Carlo e vivo " scande, à nouveau les manifestants.
Rendez-vous à Rome, en novembre
Vittorio Agnoletto, du Genoa Social Forum, rappelle que "un milliard de personnes gagnent moins d’un dollar par jour" et reprend les revendications des anti-mondialistes : annulation de la dette, mise en place de la taxe Tobin, mesures décisives en matière d’environnement et arrêt de la production d’armes. Il demande, également la démission du ministre de l’intérieur italien et du chef de la police et réclame que l’ensemble des dégâts subis par la ville de Gênes soit remboursé par le gouvernement italien.
Très acclamé, José Bové explique qu’il parle au nom de la Confédération paysanne et des paysans de Via Campestina et s’enflamme contre "cette minorité de nantis qui accaparent les richesses ". Il affirme : "le pouvoir s’est, hier, définitivement disqualifié". Il donne rendez-vous aux milliers de manifestants pour le prochain sommet anti-mondialisation qui se tiendra, à nouveau à Porto Allegre, en 2002. Il explique que l’OMC (Organisation mondiale du commerce) a choisi de se réfugier dans le désert, au Qatar, en novembre prochain, sans doute pour mieux échapper aux manifestants. Et qu’ils se retrouveront, donc, à Rome, du 5 au 9 novembre, à l’occasion du sommet du FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Les militants notent le rendez-vous. Pour la plupart d’entre eux, il est temps de rentrer, de regagner les cars qui doivent les ramener chez eux, sans se trouver coincés par les affrontements entre casseurs et forces de l’ordre qui marquent la fin de cette journée. Ils ne sont pas prêts de l’oublier : cet été-là, ils étaient à Gênes et, après la mort d’un des leurs, le G8 ne s’était pas arrêté.