À l’abri du marché et de l’...tat, les associations cimentent la culture réseau et deviennent le pivot de l’échange social. Sans grande reconnaissance...
Il n’est pas certain que ceux qui se décrètent docteurs ès sciences internet aient produit sur ce sujet les textes les plus définitifs. Certains recyclent, l’air pénétré, une problématique déjà rentabilisée sur l’économie de l’audiovisuel pour nous faire des petits cours sur les périls de la concentration capitalistique. Bien. D’autres déclinent, en fourbissant leurs propos de .com, le vieil adage qui sent bon le café Grand-Mère : plus une révolution technologique est rapide et massive, plus les risques encourus sont proportionnellement importants. Nous voilà bien avancés, Mâme Michu.
Troc des intelligences
À bien y regarder, les meilleurs chapitres viennent d’ailleurs. De Jeremy Rifkin, qui regarde le Net comme l’outil privilégié de la nouvelle économie du monde. Celle où la maîtrise des ressources intellectuelles et des signes est devenue le patrimoine immobilier d’hier. Celle où l’Occident se spécialise dans le maniement des symboles et la conception de produits industriels et où le reste du monde usine les concepts. En amont de la Toile, l’imaginaire, la modélisation, la consommation, le marketing, les donneurs d’ordre… En aval, au bout de la laisse électronique, les sous-traitants. Schématique, mais utile.
Ce dernier mois, un autre livre, Renouer le lien social (1), sous-titré Liberté, égalité, association, vient donner un bon coup de main pour approcher l’autre versant de l’Internet : « l’auto-organisation ». Autrement dit, ce réflexe associativiste, un vieux rêve des premiers socialistes du XIXe siècle, qui conduit les uns et les autres à mutualiser leurs passions, leurs hobbys, leurs intérêts via un réseau actif d’échange ou de solidarité. L’auteur, Roger Sue, insiste avec raison sur le fait que l’association au sens 1901, c’est-à-dire formalisée par une déclaration en préfecture, n’est que la partie immergée de ce continent social qui ne relève ni de l’...tat ni du marché. De plus en plus, précise Sue, les « assoc’ » sont informelles, transitoires, éphémères… Elles ne naissent pas pour célébrer un objet ou une idéologie, mais pour produire un effet par le lien libre et le troc des intelligences.
Pivot de l’échange social
De ce point de vue, il ne sera jamais possible de quantifier en KF ce que pèsent financièrement les forums spécialisés sur tel et tel logiciel, tel ou tel sujet scientifique, tel ou tel domaine professionnel. Sans les forums qui assurent la formation de dizaines de milliers de graphistes qu’on s’arrache aujourd’hui mais que très peu d’écoles ont su guider ? Nous allons fêter sous peu, à la fois pompeusement et clandestinement, le centenaire de la loi sur les associations. Sans faire le moindre rapport avec la culture réseau qui triomphe sur le Web. Et qui devient peu à peu, dans certaines newsletters, certains chats et autre forums, l’un des pivots de l’échange social. Sue n’est-il qu’un doux rêveur quand il suggère de donner un statut de plein exercice à la galaxie associative en la dégageant des diktats du marché et des grosses pattes de l’...tat ?
(1) Renouer le lien social, Roger Sue, éditions Odile Jacob
*Guillaume Malaurie est rédacteur en chef au Nouvel Observateur