Mano Solo propose pêle-mêle aux internautes de commenter des tableaux, de découvrir ses dessins et, surtout, de parler ou de s’étriper joyeusement.
Votre site propose des textes, des dessins, mais parle peu de vous. Pourquoi ?
Ce site est celui d’Emmanuel Cabut [son vrai nom, NDLR]. Bien sûr, Mano Solo y ramène du monde, mais ce n’est pas le site du chanteur. C’est autre chose. Quand je vois qu’on a filé la Victoire de la musique du meilleur site internet à patrickbruel.com, je trouve ça affligeant. Même s’ils peuvent être très beaux, la plupart des sites d’artistes ne s’adressent pas aux gens.
Comment est venue l’envie de créer un site ?
J’ai toujours voulu avoir un journal. Même avant de
savoir ce que j’allais mettre dedans. J’ai grandi dans la communication, au milieu de gens comme Cavanna ou Delfeil de Ton. Avec le Net, je me suis rendu compte que les choses devenaient très faciles. Je pouvais faire un truc gratos. Et quand je me suis baladé sur le Web, j’ai
découvert qu’il existait une mailing-list où 200 personnes parlaient de moi. Ça m’a poussé à créer mon site.
Combien de temps y consacrez-vous ?
En ce moment, j’y passe ma vie. Je me suis remis au dessin, que j’avais un peu laissé tomber depuis quelques
années. Ça m’a vraiment réveillé. L’intérêt, c’est que, sur mon site, je ne dois rien à personne. Si, un jour, je n’ai rien à dire, je ne dis rien. C’est la souplesse du Net. Le type n’a pas payé pour ça. Il n’attend pas plus que ce qu’il trouve.
Votre site est très interactif, ce qui est assez rare.
Au début, je recevais énormément de contributions. Maintenant, ça s’est calmé, mais je reçois des choses plus élaborées. Des réflexions plus construites. Il y a de grosses bastons, sur le forum. Moi-même, j’adore ça. Avec ce site, je redeviens un être humain. Je quitte le costard qu’on m’a taillé, l’ange noir des nuits blanches, le sidéen qui chante, toutes ces conneries. Le Net me permet de dire ce que je pense, d’avoir avec le public des liens que je ne pouvais pas avoir en concert, ni ailleurs. Sur scène, souvent je pique ma crise, quand je me sens agressé par la connerie des autres. J’essaie d’expliquer que c’est
débile de répéter mes textes par cœur, que je ne suis pas un juke-box, venu là juste pour chanter des chansons sans réfléchir, et que parfois je n’y arrive pas. Ils ne comprennent pas. Ils se sentent agressés. Et c’est vrai qu’un concert n’est pas forcément le meilleur moment pour
régler ses comptes. Le site me permet de moins faire chier les gens quand je suis sur scène.
L’écrit est moins agressif ?
Oui. C’est vrai que, dans la vie, je ne suis pas très
tolérant. Quand j’ai un con en face de moi, ça clôt toute discussion. Avec le Net, je ne sais rien des gens qu’il y a en face. Certains disent qu’il s’agit de fausse communication. Au contraire, on est ce qu’on est. Tu ne sais pas si ton interlocuteur a 20 ans, 30 ans ou 40 ans. C’est de l’antiracisme primaire. De la vraie communication.
Vous dites qu’il est difficile d’amener les internautes à parler de peinture. Pourquoi ?
La peinture a donné lieu à de bonnes chroniques, mais je suis peu à peu tombé en panne d’œuvres qui permettent de discuter. De raconter des histoires. D’interpréter. Je ne veux pas que ces tableaux soient trop bien peints. Je veux décomplexer le regard. Si je mets des portraits, il y a tout de suite les intellos qui débarquent pour raconter la vie du peintre ! Ça m’a donné l’occasion de m’engueuler avec un « netteur ». J’avais effacé un de ses messages, il était furax.
En fonction de quoi filtrez-vous les messages ?
En fonction de ce qui m’énerve. Je laisse faire, jusqu’au moment où je trouve ça trop con. Le but du forum, c’est de décomplexer les gens. Un message inepte, s’ils tombent direct dessus, ça va les coincer. Je le sais.
Vous n’êtes pas favorable à une liberté
d’expression absolue ?
Pas quand elle empêche les gens de délirer tranquilles. J’attends un bon moment, avant de virer une contribution. Mais c’est comme avoir dans son salon un mec qui fait chier tout le monde. Au bout d’un moment, tu ne vois pas pourquoi tu le garderais chez toi. Tu lui dis : « Casse-toi. » Sinon, on ne s’en sort plus.
Qui participe à l’élaboration du site ? Des amis ?
Les netteurs m’ont proposé des trucs. Je n’arrêtais pas de leur demander de participer. Certains se sont mis à travailler comme des tarés. Mon cousin m’aide pour la technique, pendant que je m’occupe du rédactionnel. Mais c’est un site en devenir. Je compte l’améliorer. Le faire bouger. Mettre des trucs en Flash, de la vidéo, lui donner davantage d’ergonomie. Pour le moment, ça tient du bricolage. Je passe trop d’heures devant mes mises en pages à la con, à faire des copier-coller. Je veux créer un vrai journal, monter une société, mettre sur pied un truc sérieux avec une équipe, un local...
Pourquoi monter une société ?
Pour ne pas faire bosser des gens gratuitement. Je suis prêt à passer de la pub sur le site. Je me leurre sans
doute un peu. En ce moment, le secteur n’est pas très en forme. Mais l’idée, ce serait un magazine culturel. D’éveil. Que, dans les maisons de disques, des chefs de projets ne sachent pas qui est Modigliani, ça me fout en rogne.
Vous ne souhaitez pas relayer des combats politiques ?
Je ne suis pas qualifié pour ça. Je suis un type comme tout le monde, je n’ai pas la prétention de faire de la
politique. Je ne suis pas Dieudonné.
Propos recueillis par Edgar Pansu
Dernier album paru : Dehors (East West France)