Transfert publie, chaque mois, une des chroniques de Esther Dyson, également reproduite dans le New York Times. Sa lettre d’information est une référence pour tous les acteurs de la nouvelle économie.
Esther Dyson est la papesse du capital-risque. Américaine, elle connaît également l’Europe sur le bout des doigts. Sa lettre d’information, Release 1.0, est une référence pour tous les acteurs de la nouvelle économie.
Il y a deux ans, j’ai écrit une chronique expliquant que la plupart des start-ups n’étaient pas des entreprises complètes, mais plutôt des sociétés en pièces détachées, créées pour être vendues, plutôt que pour se développer. J’ajoutais qu’elles avaient, le plus souvent, un management insuffisant : il y avait largement plus de start-ups que d’équipes de direction compétentes.
J’ai repensé à ce texte, il y a deux mois, alors que j’essayais à la fois de lever de l’argent pour l’une de mes entreprises, et d’écouter les discussions à une conférence sur le capital-risque, sponsorisée par Sachs-Bloomberg, à Munich. L’assistance était d’environ 600 personnes, un chiffre étonnamment élevé si l’on repense à la déprime du secteur start-up.
Il y avait beaucoup de capitaux-risqueurs, mais ils semblaient plus occupés à chercher des partenaires complémentaires sur leurs investissements actuels, qu’à repérer de nouvelles affaires dans lesquelles investir. Certaines start-ups ont échoué dans leurs objectifs et vont être à court d’argent cette année. D’autres ont fait leurs chiffres, mais, pourtant, ne parviennent pas à trouver, auprès de leurs partenaires initiaux, le financement nécessaire à leur développement. En fait, elles vont, elles aussi, se retrouver à court de cash car, de toute façon, l’idée était de trouver de l’argent complémentaire, et personne ne pensait que ce serait un problème.
L’attitude des capitaux-risqueurs a changé : l’année dernière, ils semblaient craindre de manquer de propositions ; aujourd’hui, ils ont peur de dépenser trop d’argent. Même les investisseurs qui sont intéressés par des projets tiennent ce type de discours aux entrepreneurs : « Humm, cela paraît très intéressant. Merci de nous avoir présenté ce dossier, et n’oubliez pas de venir nous voir si vous ne trouvez pas d’argent ailleurs. » Si ce moment arrive, la société sera, bien sûr, proche de la cessation de paiement et le management sera sans doute prêt à d’importantes concessions sur le prix, juste pour sauver l’entreprise.
Comment a-t-on pu en arriver là ? La nouvelle économie est-elle morte ? Les capitaux-risqueurs sont-ils tous des requins, et les entrepreneurs des idiots ? Pas du tout. Prenez un peu de recul et considérez le contexte.
Ces deux dernières années, intentionnellement ou non, beaucoup de capitaux-risqueurs ont financé des entrepreneurs qui étaient meilleurs pour vanter les mérites de leur société que pour livrer des produits ou des services. À cause de la folie des .com, tout le monde voulait devenir PDG, ce qui signifie qu’il y avait très peu de directeurs commerciaux, directeurs techniques, ou directeur généraux. Certaines entreprises avaient une technologie, mais pas de vendeur. D’autres des vendeurs, mais rien à vendre.
Beaucoup de ces demi-sociétés devraient maintenant fusionner, mais peu de capitaux-risqueurs sont prêts à financer ces opérations. La nouvelle économie des sociétés de pièces détachées est morte. Cependant, la nouvelle économie elle-même est toujours vivante. Les capitaux-risqueurs, qui croyaient financer des start-ups internet, ont, finalement, très souvent, financé la formation de la prochaine génération de managers de la nouvelle économie destinés à travailler dans des entreprises établies. Car ces dernières ont déjà des circuits de vente et de distribution. Elles ont déjà des produits, des services de ressources humaines, des avocats, des spécialistes de l’événement commercial ou des bases de données pleines de contacts de presse. Et elles gagnent de l’argent.
Mais elles manquent souvent de nouveaux produits et surtout d’une compréhension de la mentalité internet - rapidité, communication à double sens avec les clients, un certain goût pour le risque et les expérimentations, une volonté de développer une méthode qui marche déjà. En somme, elles n’ont pas assez d’employés qui comprennent la nouvelle économie.
La solution paraît évidente. Les start-ups sont beaucoup plus intéressantes pour les entreprises installées que pour des capitaux-risqueurs, qui sont toujours en train de regarder les projections de retour sur investissement de l’année dernière... C’est pourquoi, aux ...tats-Unis, en Europe et partout dans le monde, des entreprises solides et établies sont en train de créer des fonds d’investissements. Ils sont des investisseurs « stratégiques » - investissant plus pour des raisons politiques que financières.
À Munich, on trouvait, outre les traditionnels capitaux-risqueurs et entreprises de technologie (comme Intel ou IBM), des institutionnels comme Deutsche Post. Ces derniers n’ont pas tous la même stratégie : certains veulent avaler des start-ups pour intégrer le management et les produits ; d’autres souhaitent - en tout cas pour l’instant - participer à la nouvelle économie en finançant des sociétés complémentaires. Dans tous les cas, ils apportent plus que de l’argent sur la table : des contacts clients, une expertise industrielle, une marque et de la crédibilité.
J’en ai fait moi-même l’expérience : Deutsche Telekom est devenu un investisseur stratégique pour Paymentor (http://www.paymentor.com), une start-up qui offre des services de gestion de comptes-clients pour des entreprises qui préfèrent externaliser cette fonction routinière mais essentielle. Pourquoi cet investissement est-il stratégique pour Deutsche Telekom ? Parce que cela lui donne un service additionnel à offrir à ses clients PME, et que cela développe l’utilisation de l’Internet en général.
Il n’y a donc pas de raison de désespérer. Dans l’ensemble, l’économie de marché et ses lois fonctionnent bien, malgré quelques perturbations ici et là. La nouvelle économie est réelle, même si tous les acteurs ne sont pas destinés à durer. En parallèle, la vieille économie a souvent des difficultés à développer, en interne, une pensée, des produits et des services de la nouvelle économie. Les capitaux-risqueurs peuvent les aider à le faire, en externe. Quelques-uns d’entre eux pourront même obtenir des profits raisonnables en vendant leurs parts à des entreprises de la vieille économie qui, au lieu de pousser ces jeunes pousses jusqu’à maturité, les utiliseront pour renforcer leurs propres opérations. D’autres investisseurs devront peut-être vendre à perte : ils découvriront qu’ils n’étaient pas faits pour être capitaux-risqueurs, mais plutôt stratège du développement d’entreprise, ou développeurs de nouvelles activités.
Finalement, les capitaux-risqueurs n’auront pas seulement financé la formation des entrepreneurs. Ils auront aussi payé pour leur propre éducation.
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