Bertelsmann et Vivendi s’apprêteraient à licencier une grande partie des salariés de leur librairie en ligne commune : Bol.fr.
Dans l’entrée des bâtiments de Bol.fr, boulevard de Strasbourg à Paris, six ou sept salariés assis sur un coin de fesse, dans une chaise, ou debout, discutent. Au milieu de cette petite assemblée, deux pages photocopiées de la revue Livres Hebdo. Le titre de l’article : "Vers un e-krach des e-brairies". Selon les informations de Transfert, la plupart des 35 salariés de Bol France devraient être licenciés prochainement. Motif : l’intégration de l’équipe du libraire en ligne au sein du club de livres France Loisirs, voire la fermeture pure et simple du site de commerce électronique. Impossible, pourtant, d’apprendre de la bouche des employés le sort qui leur est réservé : l’attachée de presse surgit précipitamment, boucle le journaliste dans un bocal, et signale le refus du P-DG Bertrand Stephann de répondre à une interview à l’improviste. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir laissé des messages sur le répondeur de son téléphone portable. Lorsqu’on s’étonne de voir ces gens qui ne travaillent pas, elle réplique : "C’est vendredi après-midi..." et fait la tournée des bureaux à l’étage, où les ordinateurs sont allumés, et une dizaine de salariés en poste. D’après nos informations, pourtant, les convocations auprès du DRH ont déjà commencé. Ce que ne confirment ni la direction de la communication de Vivendi Universal Publishing ("Je serais tout de même la première à le savoir si c’était vrai !"), ni le siège allemand de Bertelsmann ("Difficile de joindre les gens le vendredi...").
Licenciements ou fermeture à l’amiable
Les négociations entre les deux maisons-mères, les groupes de communication Bertelsmann Direct Group et Vivendi Universal Publishing, semblent ne pas aboutir. Il est en effet question, depuis mai dernier, que Vivendi revende ses parts (50 %) dans France Loisirs, le club de livres fondé par son partenaire allemand, afin que Bertelsmann en devienne l’unique propriétaire. Au passage, Vivendi cèderait les 50 % qu’elle possède dans l’autre joint-venture, Bol.fr, parce que Bertelsmann voudrait intégrer cette "start-up" mal en point dans ses activités VPC traditionnelles, à savoir les clubs de livres. C’est sa stratégie officielle depuis mai : toutes les filiales Bol nationales, tombées en disgrâce avec le e-krach, sont absorbées par la VPC.
Hélas, l’Allemand et le Français n’ont pas l’air tout à fait d’accord sur la valeur des parts à céder. Il serait donc fort possible que l’on ferme tout bonnement Bol.fr, afin de ne pas faire d’histoires. Entre Thomas Middelhoff et Jean-Marie Messier, les deux P-DG amis, il ne faut pas gâter le climat : les concurrents sont aussi partenaires dans tellement de domaines... Officiellement toutefois, explique-t-on chez France Loisirs, dont dépend le sort de Bol.fr, il n’y aura pas de décision avant jeudi 12 juillet, date à laquelle les négociateurs présenteront le bilan de leurs travaux.
200 millions pour 5 webraires
Cela faisait déjà plusieurs semaines que Bol.fr tanguait. Dans son édition du 29 juin, Livres Hebdo annonçait une fermeture en septembre du "webraire" moribond. Les concurrents de Bol.fr ne vont pas beaucoup mieux. Amazon, qui s’apprêterait à rapatrier sa plate-forme de livraison française au Royaume-Uni, pourrait essuyer, en France, son premier échec. La Fnac.com, si elle se porte mieux, n’est toujours pas rentable.
Les journalistes de la revue professionnelle expliquent qu’il n’y a pas de place pour cinq librairies en ligne dans l’Hexagone : "Le marché français, n’ayant aucune des caractéristiques des marchés américains et britanniques, n’a pas répondu et, cette année, la vente de livres par Internet ne représentera pas plus que 0,5 % du marché, tous circuits confondus, soit dix fois moins qu’outre-Manche et outre-Atlantique." Soit, à la louche, 200 millions de francs de chiffre d’affaires à se partager entre webraires... Une estimation à comparer aux sommes investies dans la communication et le rachat de start-ups (France Telecom a acquis Alapage pour... 200 millions de francs).
Bol France avait réussi à se hisser à la première place des libraires online françaises en juillet 1999, en termes de notoriété, mais aussi de ventes. La Fnac.com, le précurseur, avait d’abord mollement réagi à l’apparition de Bol en février 1999, avant de paniquer momentanément dans le courant de l’année. Selon Fabrice Cavarretta, le premier P-DG de Bol.fr, la FNAC n’avait pas su tirer parti à temps de sa présence sur le terrain : "Pour gagner la bataille du livre en ligne, il fallait engager les compétences click & mortar. Songez-y : il nous a suffi d’une poignée de rédacteurs pour tenir tête à une chaîne d’une cinquantaine de magasins !" La situation s’est maintenant inversée pour Bol. Bertelsmann semble avoir soudain compris l’intérêt qu’il y avait à rapprocher le clic (Bol.fr) du mortier (les clubs de lecteurs). Les salariés de Bol.fr pourraient, hélas, bien en faire les frais.