Les entreprises high-tech se servent de plus en plus de la messagerie électronique pour annoncer des licenciements.
Dégraisser, c’est simple comme un petit mail. La dernière mode dans les entreprises du secteur high-tech, c’est de recourir à la messagerie électronique pour annoncer des réductions d’effectifs. C’est ce qui ressort d’une étude menée par la société Tower Perrin auprès de 38 firmes internationales - la plupart sont d’origine anglo-saxonne - exerçant dans le domaine des nouvelles technologies (36 % viennent du secteur des télécoms et 64 % du secteur informatique). 70 % de ces entreprises ont utilisé le mail pour annoncer des suppressions d’emplois à leurs salariés. Et qu’importe si la méthode effraie un peu, l’outil est alléchant. Pensez ! Il permet d’avertir tous les employés d’un même groupe, disséminés au quatre coin du monde, de façon efficace et simultanée. "C’est une dynamique qui est propre aux groupes internationaux. Avertir tout le monde en même temps est un moyen, pour les groupes, de gérer leur communication financière et de prévenir les délits d’initiés", explique Rodolphe Delacroix, le responsable de l’étude. Seulement, quand l’information porte non pas sur le cours de la Bourse, les nouveaux partenariats signés par la société ou encore les nouvelles acquisitions de la boîte, mais sur des licenciements, le recours au mail paraît forcément déplacé. Ou tout simplement odieux.
Mail de crise
Le 26 juin 2001, les milliers d’employés de la firme Cap Gemini Ernst&Young ont appris par la presse que leur groupe prévoyait un plan de licenciement. Le lendemain, un mail envoyé à tous les salariés annonçait "un plan d’actions visant à améliorer la rentabilité". Bilan : 2 700 suppressions d’emploi. Le surlendemain, la direction de la filiale française du groupe, prise de cours, s’empressait d’écrire à son personnel. "Le message nous disait en gros de ne pas nous affoler. Que les licenciements toucheraient surtout l’Europe et les ...tats-Unis", assure Ali Ould Yerou, un des délégués syndicaux qui s’étonne que la direction française n’ait pas été capable de les avertir à temps. "En fait, ils étaient assez mal à l’aise. Le mail est arrivé sur la messagerie de tous les salariés en même temps, je ne sais pas si la direction française était au courant." Alors que dans les entreprises françaises, la législation oblige les directions à informer au préalable le comité d’entreprise de tout plan social, l’arrivé de ce mail de crise a réduit à néant toute possibilité d’anticipation.
DRH hors-jeu
"Dans les entreprises anglaises ou américaines, la plupart des informations passent par les messageries, directement du siège vers les employés, sans passer parfois même par les directions des ressources humaines locales. Parmi les DRH que nous avons interrogés, seuls 30 % ont été associés, en amont, à la conception du message communiqué aux salariés", assure Rodolphe Delacroix de Tower Perrin. Les DRH seraient-ils devenus les maillons faibles d’une chaîne d’information qu’ils ne maîtrisent plus ? Quand même pas, mais gare aux distractions. "Lorsque j’étais Directeur général de la filiale française d’une multinationale américaine, mes consignes étaient "do your job". Aucun élément d’info n’est donné aux DG locaux pour justifier les réductions d’effectif. Dans ce contexte, ils n’ont pas vraiment de marge de manœuvre, ils appliquent les ordres du siège", se souvient Bernard Merck. Aujourd’hui chargé du repositionnement de la branche ressources humaines chez France Télécom et administrateur de l’ANDCP (Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel), il milite pour un certain "courage managérial". "La dimension humaine de la fonction RH ne peut être remplacée par l’outil informatique", dit-il.
Pour autant, la gestion de la communication par mail, si elle s’affranchit parfois du contrat oral, n’est pas généralisable à l’ensemble des entreprises. Karine Boullier, directrice d’étude au sein de l’association Entreprise et Personnel (Institut de recherche et de développement), mène une étude sur le dialogue social à l’heure d’Internet. Pour la chercheuse, "La plupart des entreprises françaises n’en sont pas encore là. En cas de communication d’une information aussi importante qu’un plan de licenciement, elles assurent qu’elles privilégieront toujours l’oral, voire l’Intranet." Pour combien de temps ?