Lors du colloque organisé par Transfert le 14 juin à l’école supérieure de commerce de Paris, juristes, éditeurs et artistes ont fermement débattu de l’évolution des droits d’auteur dans la société de l’information.
Quels changements les technologies numériques et l’avènement d’Internet font - elles subir à la circulation des œuvres et à la rétribution des auteurs ? Quels schémas économiques et quels modes de contrôle se profilent ? Ce sont les questions autour desquelles Transfert et le cabinet d’avocats Gide-Loyrette-Nouel invitaient à débattre jeudi 14 juin. Autour de la table, des juristes, quelques artistes, des professionnels de l’édition, des patrons de start-ups et des représentants de l’Etat.
Dépossession volontaire
Pour
vous procurer les actes du séminaire
"Droits d’auteur et nouvelles technologies"
Cliquez
ici
|
Premier constat : le Net est ressenti comme un formidable accélérateur de la circulation des œuvres et du rapprochement avec le public. Certains en profitent pour redéfinir les modalités de leur diffusion. Avec la licence Art Libre, Antoine Moreau, coordinateur du projet Copyleft Attitude, propose la possibilité de distinguer l’œuvre de sa valeur marchande, en supprimant le caractère automatique du lien qui les unit. Dans le schéma du copyleft, si une œuvre d’art peut être vendue l’auteur ne peut exiger une rétribution pour sa diffusion ou sa reproduction et autorise sa modification. Une sorte de "dépossession" volontaire dont Irène Frain, qui a participé à une expérience d’un autre ordre -un roman écrit collectivement avec des internautes- se fait l’écho. C’est une manière d’échapper à la barrière que peut représenter le droit d’auteur classique pour la création. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs rappelé que la copie a souvent été un puissant facteur de création et que la notion de droit d’auteur ne remonte qu’au 19ème siècle. Pour Antoine Moreau, sortir des blocages engendrés par la propriété intellectuelle est propice à une renaissance.
Renforcement des barrières techniques
Mais tous les artistes ne sont pas disposés à perdre le contrôle de la diffusion de leur œuvre. Loin s’en faut. Pour la simple et bonne raison qu’ils entendent vivre de leur art. Irène Frain revendique haut et fort ce droit, largement suivie par les sociétés d’auteurs. Dès lors, quelles stratégies de contrôle se mettent en place ? Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au conseil d’Etat et universitaire, rappelle que la directive communautaire sur l’adaptation des droits d’auteurs dans la société de l’information va dans le sens d’un renforcement des barrières techniques anti-contrefaçon. Pour Philippe Chantepie, conseiller technique de Catherine Tasca, l’intérêt des industries logicielles va justement dans le sens d’un verrouillage technique. Ce qui peut être dangereux pour la création dans un contexte de concentration des producteurs de contenu. Or, d’après le conseiller ministériel, l’objectif du gouvernement vise à "
assurer un équilibre entre les intérêts économiques de la création mais aussi à favoriser la circulation des œuvres". Il lui faut donc faire des choix politiques qui s’affranchissent des stratégies industrielles et favoriser le débat démocratique sur ces enjeux. Pour le professeur de droit Sébastien Canevet, les solutions retenues par le gouvernement pour donner des gages aux sociétés d’auteurs en matière de lutte anti-contrefaçon nuisent aux libertés individuelles. En autorisant le fichage et le traçage des internautes pour lutter contre les contenus illicites, "
on rompt, dit-il,
l’équilibre démocratique en recherchant une efficacité maximale".
Sortir du modèle major
En matière de redistribution des droits, la musique cristallise les incertitudes suscitées par le Net. Eric Legent, créateur de France MP3, fait part de son échec à vendre des morceaux en téléchargement. Fidèle à la stratégie adoptée par les maisons de disques américaines, Sophie Bramly d’Universal Music s’accroche bec et ongles au système traditionnel : "l’enjeu, c’est d’éviter de retomber dans le piège des radios libres qui ont réussi à diffuser de la musique quasiment gratuitement". Plus pragmatique, Morvan Boury, de Labels, s’interroge sur la remise en cause de la chaîne de distribution : "il faut savoir quelle part chaque intermédiaire apporte en termes de valeur". Ariel Kyrou, chroniqueur à France Culture, insiste sur la possibilité offerte par Internet de "sortir du modèle major". Le duo électro Daft Punk est cité comme un exemple d’autonomie économique en partie acquise par le Net. "Les auteurs n’ont pas tous vocation à gérer eux-mêmes l’exploitation de leur œuvre", estime une représentante de la Sacem. ...ric Legent, de France MP3, estime pour sa part qu’Internet ne permet pas de rémunérer les auteurs sur la base d’un volume de ventes et propose d’indexer les bénéfices des artistes sur le chiffre d’affaires de l’éditeur. Remous dans la salle...
Fin du droit moral ?
Pour les éditeurs de journaux en ligne, les technologies numériques posent la question de la rémunération dans le cadre d’une exploitation multi-suppports. "Il n’y a aucune raison de payer les auteurs à chaque fois", estime Philippe Jeannet, du Geste (association d’éditeurs interactifs), qui s’oppose sur ce terrain au secrétaire général du syndicat national des journalistes. Mais, au-delà de la rémunération, le problème tient dans le devenir d’une œuvre de l’esprit qui échappe de plus en plus au contrôle de son auteur, du fait de la logique économique et de la rapidité de la diffusion sur les réseaux. Comme le remarque l’avocat Bertrand Nouel, la conception européenne du droit d’auteur est remise en cause par le Net. Car elle fonde sa différence avec le copyright américain sur le droit moral de l’auteur. Ce dernier peut dans ce cadre, s’opposer à certaines utilisations de son œuvre et bénéficie même d’un droit de modification et de retrait de sa création. Pour Bertrand Nouel, ce droit ne pouvant être garanti sur les réseaux, il est destiné à disparaître dans la société de l’information.
Pour
vous procurer les actes du séminaire
"Droits d’auteur et nouvelles technologies"
Cliquez
ici
|