Peu de moyens et beaucoup d’efficacité : déguisé en observatoire des médias, le groupe de pression Honest Reporting fait pencher la balance en faveur d’Israël.
Depuis des années, le reporter Robert Fisk couvre le Moyen-Orient pour le quotidien britannique The Independent. Si Fisk jure ne pratiquer ni le Web ni l’e-mail, c’est pourtant aux NTIC qu’il consacre une récente chronique : plusieurs titres, dont The Independent, sont régulièrement bombardés d’e-mails émanant de prétendus "lecteurs américains indignés par la vue biaisée et défavorable à Israël", caractérisant le traitement de l’actualité au Moyen-Orient. Ces messages, note Fisk, portent souvent des adresses correspondant à des zones du territoire américain où The Independent n’est pas distribué. Or, bon nombre sont envoyés à l’instigation d’une organisation récente et active, Honest Reporting, dont la mission est justement de combattre ce traitement médiatique négatif et injuste qui serait le lot d’Israël.
Un modèle de courrier
"Dès que paraît quelque chose qui leur déplait, ils font faire le tour du monde à l’article incriminé, écrit le Guardian, autre titre britannique pris à parti par Honest Reporting. Ils y joignent un modèle de courrier de protestation qu’il suffira de personnaliser et d’adresser par la voie électronique." La stratégie de l’organisation est aussi simple que radicale : ne rien laisser passer. Qu’il s’agisse d’un article ou d’une dépêche, la thèse développée, l’angle choisi, le vocabulaire utilisé, sont passés au crible. Le cadrage d’une photo, l’atmosphère qu’elle dégage, son sens tacite, son contexte, sont également analysés. La présence, même infime, d’éléments douteux met vite en branle ce "site web d’action rapide", qui lance ses troupes à l’assaut de la rédaction coupable de subjectivité. Avec une efficacité souvent redoutable. Le 1er juin dernier, après l’attentat devant une discothèque de Tel-Aviv qui coûta la vie à une vingtaine de jeunes israéliens, Associated Press eut le tort de titrer : "Explosion kills bomber in Tel Aviv (Tué par l’explosion de sa bombe à Tel Aviv)", sans évoquer d’entrée de jeu les victimes israéliennes. Honest Reporting proposa aussitôt à ses troupes d’adresser à AP une lettre inspirée du modèle suivant : "A l’attention du rédacteur en chef
Le 1er juin, la première dépêche d’AP rapportant le haineux attentat-suicide perpétré devant une discothèque de Tel Aviv portait le titre : "Tué par l’explosion de sa bombe à Tel Aviv". Les premières images de la scène montraient une masse de victimes juives. Pourquoi AP a-t-il édulcoré cet acte bestial en le dénommant "explosion", et s’est-il attaché aux souffrances d’un terroriste diabolique, et non à celles d’adolescents innocents ? J’ose croire que l’auteur de cet abominable phrase de titre ne fait d’ores et déjà plus partie de votre rédaction."
Pluie d’e-mails
Efficace et complet comme un couteau suisse, le site de Honest Reporting regorge d’archives, de modèles de lettres, de définitions des déformations à traquer, de liens, d’adresses. Il n’oublie pas de doper le moral de ses membres en leur rappelant les succès obtenus : bombardée d’e-mails, la chaîne américaine CNN a fait ainsi amende honorable et reconnu par écrit : "Le reportage que vous citez contient des erreurs factuelles, des erreurs par omission [situées dans un] contexte inapproprié, qui ont été corrigées." De même, le New York Times et le Washington Post avaient des mois durant défini la zone de Gilo, à la périphérie de Jérusalem, comme une "colonie". Une pluie d’e-mais les a ramenés à la raison : dans leurs colonnes, Gilo n’est plus qu’un simple "quartier". Pas question de s’arrêter en chemin. Pour Honest Reporting, il y a tant d’injustices sémantiques à redresser : les colonies "illégales", le "faucon" Ariel Sharon, les "militants" palestiniens, les tirs qui "éclatent". Pire encore, cette manie qu’ont certains médias de présenter le Mont du Temple comme le "Haram al Sharif, troisième lieu saint de l’Islam".
Ethique journalistique
Plus insidieuse, mais non moins efficace, cette lettre en date du 17 mai. Elle vise un journaliste de la BBC, auteur de l’article "La nouvelle tactique de Sharon" paru le même jour, accusé d’avoir truffé son texte, censé être purement informatif, d’opinions et de prévisions personnelles, "violant l’éthique journalistique la plus élémentaire". La BBC réagit en adjoignant, peu après, la mention "analyse" au titre de l’article en question. Geste nécessaire mais non suffisant. Honest Reporting priera la BBC de ne plus mélanger ses articles d’information et ses articles d’analyse, en réservant à ceux-ci une rubrique spécifique. Honest Reporting a ses héros médiatiques – ceux qui réservent à la politique d’Israel un traitement impartial. Tel Martin Peretz, rédacteur en chef du magazine conservateur The New Republic. Honest Reporting conseille donc à ses membres de s’abonner au titre. Dans l’océan de fausseté baignant les médias, seuls le magnat de la presse Conrad Black (Daily Telegraph, Spectator, Jerusalem Post, etc.), le Times de Londres et le reporter Jack Kelley de USA Today ont été à ce jour distingués pour leur honnêteté.
Individu sensibilisé
Selon l’enquête menée par le Guardian, Honest Reporting a été créé à Londres en octobre 2000 par un web-designer de 27 ans dont seul le prénom, Jonathan, apparaît. Récupéré, le site serait désormais financé et piloté depuis les ...tats-Unis par une organisation se disant vouée à la surveillance des médias, Mediawatch International. Selon sa présidente, Sharon Tzur, il s’agit d’une structure récemment créée, rassemblant "des hommes d’affaires juifs new-yorkais". Néanmoins, les liens de Mediawatch International avec Aish HaTorah, une œuvre israélienne promouvant la culture juive la plus orthodoxe, sont avérés. Faut-il le préciser ? Derrière ses protestations d’objectivité et son nom aussi ronflant que faussement naïf, Honest Reporting est purement l’arme d’un camp, dans une guerre où le front médiatique prime. S’il en fallait une preuve, on la trouverait sur la page du site expliquant "comment rédiger une lettre efficace", où le point numéro 9 expose : "...crivez en qualité d’individu sensibilisé. Le fait de mentionner votre appartenance à une campagne organisée peut diminuer le poids de votre lettre."
Articles d’excuse
Honest Reporting revendique 13 000 membres, et souhaite seulement parvenir à doubler leur nombre. Son premier succès, le groupe affirme l’avoir remporté face à l’Evening Standard, fin octobre 2000. Une chronique mettait en parallèle l’attachement à leur terre des immigrés juifs de l’après holocauste et celui des Palestiniens d’aujourd’hui. Les protestations reçues par le quotidien national l’amenèrent à publier coup sur coup deux articles d’excuse, puis une tribune pro-israélienne signée d’un intervenant extérieur. À l’époque, les membres de Honest Reporting n’auraient pas été plus de 1 000.