Pourquoi ce manque d’enthousiasme après le feu vert donné par l’autorité de régulation des télécommunications au lancement des forfaits internet illimités ? Les opérateurs traînent des pieds. Interview de Jérôme Bezzina, consultant à l’IDATE.
Des forfaits Internet illimités à 180 francs par mois à partir de votre ligne téléphonique classique, dès le mois de septembre 2001 : cette annonce d’une interconnexion forfaitaire, le 6 avril, par l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) n’a pas entraîné de grands élans d’enthousiasme. Cela fait pourtant des mois qu’opérateurs et fournisseurs d’accès à Internet (FAI) exigeaient de France Telecom la mise en place de cette Interconnexion Forfaitaire Illimitée (IFI) qui leur permettrait de payer l’opérateur historique non plus en fonction des minutes passées par l’Internaute sur le réseau, mais sur la base d’un forfait annuel. Un changement de modèle de tarification indispensable pour lancer des forfaits illimités. Alors pourquoi cette " retenue " des acteurs du marché ? AOL, l’un des fournisseurs d’accès à la pointe du lobbying pour l’IFI, comptait sur un forfait mensuel aux alentours de 100 francs, de même que l’Association des Internautes Médiateurs. D’autres FAI n’apprécient pas trop que l’ART leur " suggère " un forfait à 180 francs influant ainsi sur leur future politique commerciale.
Dégradation de la qualité des communications
Certains opérateurs soulignent que la date du 1er septembre n’est valable que sur le papier, car techniquement, il y aura des délais incompressibles de création et de migration d’infrastructures pouvant atteindre 6 à 9 mois. D’autres, enfin, pensent que les forfaits Internet illimités sur le réseau téléphonique classique seront néfastes pour l’ensemble du réseau, entraînant des surcharges et une dégradation de la qualité des communications téléphoniques. Auteur d’une synthèse européenne sur le sujet, Jérôme Bezzina, consultant à l’Institut de l’Audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE), revient sur les difficultés et les atouts de l’Internet illimité sur le réseau téléphonique classique en France. Interview.
Transfert : La tendance en Europe est de développer l’offre d’accès Internet illimité sur le réseau téléphonique (accès classique par modem 56k). France Telecom s’engage sur cette voie avec la publication récente d’une offre. Est-ce le moteur du développement d’Internet dans l’Hexagone ?
Jérôme Bezzina : Il n’y a pas de lien clairement prouvé entre le développement de l’Internet, la durée de connexion des internautes et l’existence de forfaits illimités. Seul un rapport de l’OCDE (juin 2000) a établi ce lien. De leur côté, certains fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ont produit des sondages très opportuns qui disent que les internautes sont en attente de ces forfaits. Ces conclusions doivent cependant être maniées avec prudence. Il est difficile de savoir si les gens sont prêts à consommer de l’Internet du fait de la " structure " du prix (sous la forme d’un forfait) ou du fait de son " niveau " (moins de 100 francs). De plus, la France est encore à la traîne par rapport à ses homologues européens concernant le taux d’équipement en ordinateur.
L’Autorité de régulation des télécommunications a également annoncé que les futures offres illimitées bas débit "pourraient se situer autour de 180 francs par mois". N’est-ce pas préjuger des politiques commerciales des fournisseurs d’accès ?
Le rôle de l’Autorité de Régulation est de s’assurer que la concurrence s’exerce de manière juste et équilibrée et de s’employer à en informer les consommateurs. C’est dans cet esprit qu’elle a estimé, au regard des informations que lui ont fournies les opérateurs et les FAI, que l’offre forfaitaire par accès 2 Mbit/s proposée par France Télécom permettait aux concurrents de proposer des tarifs de détail autour de 180 francs par mois.
En quelques mois, l’accès à Internet est passé du paiement à la durée au forfait, au gratuit et maintenant à l’illimité. Ce secteur semble chercher la voie sa rentabilité. L’a-t-il trouvé avec l’illimité ou existe-t-il d’autres modèles ?
Dans ce domaine, rien n’est figé. En France, après des mois de concertation, l’offre de France Telecom pour l’interconnexion forfaitaire voit enfin le jour. En Allemagne, par contre, T-Online a décidé de supprimer le forfait d’accès Internet illimité proposé à ses clients. Cette décision a signé la fin de l’obligation faite à Deutsche Telekom d’accorder des forfaits de gros à tous les FAI (jugement en référé de la cour d’Appel administrative de Muenster). Rappelons qu’en Europe l’Allemagne faisait pourtant figure de précurseur avec le Royaume-Uni :dès le mois de Novembre 2000, le régulateur RegTP avait obligé Deutsche Telekom à accorder ce type de forfaits à tous les FAI.
Cette focalisation sur l’accès Internet illimité sur le réseau téléphonique commuté ne masque-t-il pas les vrais enjeux qui sont ceux du haut débit, l’ADSL, le câble, la Boucle locale radio (BLR) ?
L’accès commuté est, et restera pour quelques temps encore, le mode d’accès majoritaire des internautes en France et en Europe. Un rapport récent de la Commission européenne montre que les connexions à haut débit commencent seulement leur pénétration sur les marchés de l’Union européenne : environ 1,1 % des foyers européens ont un accès ADSL. Par ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, les prévisions de déploiement de l’ADSL en France laissent entrevoir certaines inégalités géographiques. La problématique de la fracture numérique " ville-campagne " et celle d’un développement équitable du territoire appellent donc à traiter avec d’autant plus de concertation et de vigilance l’organisation de la fourniture de l’accès à Internet par la ligne téléphonique classique.