Les débats et les projections du Festival international du film internet ont commencé, mardi matin, dans les locaux du musée de la Mandarine Napoléon. Navigation ivre et off-line d’un projet à l’autre...
Pas très frais, les petits Fifiens. Le bus est passé prendre les festivaliers du film internet, à partir de 8 h 30 le matin, avec, comme l’année précédente, un programme un peu trop chargé pour tout voir. À l’occasion de cette troisième édition du FIFI, c’est le musée-fabrique de la Mandarine Napoléon qui accueille les visiteurs, à Seclin, dans la banlieue lilloise. Assis non loin des cuves en cuivre, des bouteilles de liqueur, et dans de petites salles de brique rose charpentées de bois, les Fifiens sont bien plus à l’aise que dans le Palais des congrès des précédentes éditions. Il faut dire que le grandiose des lieux se prêtait mal au raout un poil amateur, mais toujours chaleureux.
Art nouveau et protéiforme
Pendant la matinée entière, trois organisateurs du festival (Mehdi Benjemia, le "trésorier", Xavier d’Arthuys, coordinateur faisant ici office de modérateur, puis Alexia Guggemos, madame sélection des œuvres) plus un copain (Charly Dupuis, de la Fédération Internet nouvelle génération) ont tenté de tenir en haleine leur public, au cours d’un long colloque consacré au digima. Faut-il le rappeler, cet art nouveau et protéiforme naît de la rencontre de l’image animée et du numérique. C’est donc du "digital cinema", même si le terme de "cinéma" peut faire tiquer - la comparaison est forcément désavantageuse pour le Web. Au demeurant, le débat, centré sur les modèles économiques, est resté très théorique. C’est tout juste si la faillite de nouvo.com (en plein festival, c’est moche) a soulevé quelques inquiétudes sur l’avenir des producteurs de contenus. Pourtant, lorsque le numéro un de la webtélé francophone disparaît, ça limite les débouchés...
Un Terrien aime une Martienne
Première projection post-prandiale : la vague italienne déferle. Ils sont au moins cinq, ils travaillent tous dans deux entreprises sœurs, xcontent et xmedia. L’une produit les webfictions, l’autre les diffuse. La seule chose qui les sépare, c’est leurs acquéreurs, parce qu’en Italie aussi c’est la mode des rachats de start-ups. Les amis ont fait scission afin de se revendre, mais ils travaillent toujours en bande. Le résultat est parodique, d’un style enlevé, plutôt joyeux, avec quelques accès dramatiques. Les Italiens se distinguent par l’attention qu’ils portent au scénario, notamment avec une fiction d’une durée record de 10 minutes, Earth attacks. C’est l’histoire d’un Terrien et d’une Martienne qui s’aiment, avant que la planète rouge ne se soit fait pilonner par les hommes.
La bande à Massimo Sconamiglio et Francesco Cinquemani fait également dans le comique Internet classique, avec un Radiatore qui singe la superproduction Gladiator, et une Mission improbable qui ne dissimule pas ses sources. On notera quelques très beaux morceaux d’une littérature plutôt engagée, comme Tempi Moderni (un salarié paumé dans un troupeau de travailleurs sur ordinateurs se fait mouliner dans les engrenages du système d’information et se transforme en bandeau de pub pour l’embauche de nouveaux salariés), ou Centimetropolis, baigné dans une atmosphère à la Fritz Lang. Ces gars-là font de l’hypercinéma comme ils font de l’hypertexte. Deux autres animations clin d’œil : The Svuotcher, une histoire de montres sans doute suisses et Clonation, où l’on voit les Napolitains réitérer l’exploit Dolly... avec des téléphones portables !
Ma créature bionique
Soudain, nous voilà en Allemagne. Toujours en animation Flash, et toujours avec beaucoup d’humour, mais cette fois il ne s’agit plus de fictions narratives. Moccu est une société de webdesign et de divertissement, basée à Berlin. Jens Schmidt, le fondateur, faisait déjà partie de la sélection du FIFI 2000, lorsqu’il travaillait en free-lance sur The secret garden of Mutabor. Entre temps il a créé sa boîte parce qu’il sentait qu’il y avait un marché, et parce qu’il voulait faire les choses bien, avec des pros des bases de données, de la programmation, etc. C’est un "concept " qu’il propose à la compétition : le site Moccu est un espace modélisé en trois dimensions, dans lequel on se promène avec des effets de distance, de perspectives. Chaque développeur a créé sa propre branche de cet univers commun. Le "rivage Moccu" vous fait naviguer sous les mers, dans un massif corallien où nichent plusieurs applications. Incrusté dans les coraux, un écran web vous invite à pêcher quelques poissons, pour les télécharger dans le paysage et composer une musique avec leurs branchies. Fantastique idée également, l’Unité d’ingénierie génétique graphique vous livre les outils pour fabriquer votre propre créature bionique, que vous pourrez télécharger en fond d’écran. C’est bien mieux qu’un tamagotchi : il faut plusieurs jours pour la faire croître. On en passera d’abord par des jeux d’approche entre une sorte de ventilateur-utérus et de phallus-vaisseau spatial. Il doit aussi y avoir une histoire de copulation dans la vibration frénétique des engins qui font un bruit de machine à laver. Libre à chacun de l’imaginer : Moccu n’est vraiment pas un site directif. L’important, c’est de jouer, et de rétroagir.
Lien utilisé à tort
Un peu plus au Nord, on débarque carrément dans le concept total. Fini de rigoler : avec les Bruxellois de Labau, autres habitués du festival, on entre de plain-pied dans "l’électrosphère", autrement nommée cyberespace. Ces architectes-programmeurs, qui sont de toute façon bien obligés de savoir programmer, puisque personne d’autre n’aurait imaginé de pareilles recherches sur le monde virtuel, ont entrepris de ressusciter la vision originelle des pères de l’hypertexte, Vannevar Bush (le théoricien, inventeur du Memex) et Ted Nelson (qui l’a réalisé avec son logiciel Xanadu). Selon eux, on utilise à tort le procédé du lien pour enrichir la narration. En fait, ce dernier devrait plutôt refléter le parcours de l’internaute. Et l’accumulation de ces données de navigation, formant un profil, constituera elle-même une nouvelle information digne d’intérêt.
Labau a ainsi créé le "i-tube", une sorte de tunnel modélisé en trois dimensions, qui enregistre les liens sur lesquels clique un utilisateur donné, et les classe selon trois critères de repérage, par thème, dans le temps, dans l’espace. Selon les habitudes de surf des uns et des autres, le tunnel a plutôt une circonférence triangulaire, ronde, ou carrée. L’assemblage d’information crée une identité dans le cyberespace, "comme un code génétique", souligne Manuel Abendroth, l’un des artistes. L’objectif est de créer de nouvelles possibilités d’interaction : "Imaginez, si vous pouvez entrer dans le tunnel de quelqu’un d’autre, qui consulte le même site que vous : vous pouvez comprendre toute sa logique." Un rêve de commercial...