Les publications sur le Net sont imprescriptibles. En annulant, le 21 mars, la requête de l’artiste Jean-Louis Costes contre sa condamnation par la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation laisse libre cours à une jurisprudence contraire à la loi sur la presse de 1881
La Cour de cassation n’a pas voulu démentir une "vérité" curieusement décrétée il y a quelques mois par un juge : le Web n’est pas un média et ne relève pas la loi sur la presse du 29 juillet 1881. La Cour a annulé mardi 21 mars le recours de l’artiste Jean-Louis Costes contre une décision de la cour d’appel de Paris. Le 15 décembre 1999, la cour d’appel de Paris avait décrété que les publications sur le Web étaient imprescriptibles et l’acte de publication continu. Une décision d’une portée considérable s’étendant bien au-delà de l’affaire Costes, cet artiste trash et provocateur poursuivi pour incitation à la haine raciale. Les poursuites envers le musicien courent depuis plus de quatre ans... Rappel des faits.
Premier jugement
En 1996, l’UEJF (Union des étudiants juifs
de France) attaque
Jean-Louis Costes pour " incitation à
la haine raciale ". Lartiste a publié
sur son site les textes de certaines chansons que
lassociation estime " outrageusement racistes
". Le 10 juillet 1997, le Tribunal de grande
instance de Paris, tout en reconnaissant le bien fondé
de laction de lUEJF, rejette
sa demande : les faits sont prescrits. En effet,
larticle 65 de la loi du 29 juillet 1881 (loi
sur la liberté de la presse applicable également
à l’audiovisuel) pose le principe de prescription
: " Passé un délai de trois mois
après sa première date de publication,
un contenu ne peut plus faire lobjet de poursuites
en justice ". Cette disposition est lun
des fondement de la liberté dexpression
et de la liberté de la presse. Il permet daffranchir
les auteurs des risques de poursuites judiciaires
à vie. Une façon aussi déviter
la censure. Comme la date de publication des textes
de Jean-Louis Costes remonte au 14 septembre 1996,
les trois mois sont largement dépassés.
La procédure est donc annulée.
Et de deux
Mais entre temps, l’artiste archi provocateur réédite ses textes sur un autre site. Et surtout le ministère public, l’UEJF, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et la Ligue des Droits de l’Homme ont fait appel de la décision du TGI de Paris. C’est alors que la situation s’inverse. Le 15 décembre 1999, la cour d’appel de Paris casse le jugement du TGI. Elle s’abstient pourtant de prendre en compte l’argument selon lequel Jean-Louis Costes a "réédité" ses textes sur un nouveau site. Elle estime dans l’absolu que " la publication [en ligne] résulte de la volonté renouvelée de l’émetteur qui place le message sur un site, choisit de l’y maintenir ou de l’en retirer comme bon lui semble ". En conséquence, l’acte de publication devient continu.
L’ infraction de Jean-Louis Costes n’est plus prescriptible puisque la cour rejette purement et simplement le principe de prescription sur Internet... Le juge estime que les caractéristiques techniques d’Internet "obligent à adapter les principes posés par la loi sur la presse". Jean-Louis Costes repart à l’attaque en formant un pourvoi en cassation...
Un jugement en forme d’exception
C’est ce pourvoi qui vient d’être annulé le 21 mars dernier. La Cour de cassation a estimé que l’affaire devait d’abord être jugée sur le fond ; autrement dit, il faudra d’abord déterminer si les propos de Jean-Louis Costes sont vraiment racistes. En attendant, le choix de la cour d’appel reste lourd de conséquences car il met les auteurs de contenu sur Internet constamment à la merci de poursuites judiciaires. Plus inquiétant, ce jugement revient à dire que les prescriptions édictées par la loi de 1881, et qui concernent tous les médias, ne s’appliquent pas à Internet. La Toile ne serait-elle pas considérée comme un média ?
Compte rendu du jugement du 10 juillet 1997
http://www.canevet.com/jurisp/970710.htm
Communiqué sur le site de Jean-Louis Costes
http://www.costes.org/pro99.htm
http://www.aui.fr/Communiques/verdict-uejf-costes.html
http://www.aui.fr/Communiques/verdi...
Texte de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 15 décembre 1999
http://www.canevet.com/jurisp/991215.htm
http://www.costes.org/pro992.htm
http://www.costes.org/pro992.htm