La direction d’une grande entreprise a notamment désactivé tous les liens mis en place sur l’espace syndical virtuel.
Chez Technip, une firme internationale d’ingénierie, les syndicats représentés - l’Ugict-CGT, la CFDT et la CGC - ont troqué depuis peu leurs bons vieux panneaux d’affichage contre un espace virtuel hébergé sur le serveur de l’entreprise. Quinze jours à peine que les délégués disposent de leur intranet, et voilà que, déjà, la direction s’en mêle à grands coups de censure informatique. Après une intervention sur les fichiers du site, le 8 mars tous les liens de l’intranet syndical ont en effet été désactivés par la direction. "Le 27 février, la direction des ressources humaines nous avait envoyé une lettre pour nous demander de retirer ces liens au prétexte qu’ils étaient interdits. Comme nous avons refusé, ils ont fait intervenir le service technique directement sur le site, à notre insu", raconte Yann le Vot, un des représentants syndicaux du comité d’entreprise et webmaster du site.
Le lien ne marche plus
Les liens en question - au nombre de 30 et non pas de 150 comme l’affirme la direction - n’ont apparemment pas de quoi gêner l’entreprise. Ils renvoient sur des sites pratiques et associatifs comme ceux de la CGT, de l’OIT (Organisation international du travail), d’Attac, de Globenet, etc. Les motivations de la direction restent vagues. Pour Anne Decressac, la responsable des ressources humaines : "Ces liens permettent de communiquer avec des sites extérieurs, ce qui n’est pas autorisé." L’argument est loin de convaincre les organisations syndicales qui jugent cette censure complètement illégale. En effet, si l’accord sur l’exercice du droit syndical, signé le 5 octobre 2000 par l’entreprise, prévoyait la création d’un Intranet, il ne précisait rien sur l’existence de liens hypertextes. Une note précise, quand même, que "le site est exclusivement destiné à l’affichage d’informations syndicales". Les liens ne seraient donc pas considérés comme des informations liées au cadre de travail des salariés ? Yann le Vot, le syndicaliste, en doute : "Ce qui dérange l’entreprise c’est surtout que l’intranet puisse servir de portail d’information et pousse les employés à surfer sur des sites pendant leurs heures de travail. Ce qui est totalement absurde, puisque notre sélection de sites peut au contraire leur permettre de gagner du temps." Sur les 1 700 salariés de Technip France, les trois quarts disposent d’une connexion Internet et utilisent le Web quotidiennement depuis un an. "La présence de l’intranet n’est qu’un outil de plus", comme le rappelle le webmaster.
Le bâillon facile
L’entreprise n’essaierait-elle pas plutôt de contrôler l’information circulant sur l’intranet ? D’autant plus si celle-ci répond à des besoins longtemps revendiqués par les salariés ? Comme celui d’être informé sur la situation politique et économique des pays où ils sont amenés à effectuer des missions temporaires (un des liens désactivés renvoyait, par exemple, sur les fiches pays du ministère des Affaires étrangères). "L’entreprise compte beaucoup de filiales en Europe et en Afrique. Or, on n’a jamais obtenu que la direction nous laisse, par exemple, avoir des contacts avec les expatriés", explique Yann Le Vot. Alors, quand les syndicats court-circuitent l’entreprise, rien ne va plus.
Pas du tout disposés à baisser les bras, les syndicalistes de la CGT, l’organisation la plus représentée de la firme, envisagent déjà de remettre les liens en ligne. "De toute façon, l’entreprise ne dispose pas d’un droit de contrôle sur le contenu de l’affichage et des publications syndicales. La direction n’a pas le droit d’arracher les tracts des murs alors pourquoi le faire sur le site ?", rappelle Yann le Vot. Mais voilà, quand la censure est facilitée par la technique, la tentation de bâillonner la communication syndicale se fait plus grande. "Surtout que depuis que l’Intranet existe, tous les panneaux syndicaux ont disparu. Il ne reste plus que celui de la direction", ironise le webmaster.
Lettre d'avertissement envoyée par la direction au syndicatDR |