Le secteur de la construction illustre bien le dilemme des places de marché verticales entre l’impératif de neutralité et le besoin de flux de transactions.
"D’origine suédoise, mais à vocation européenne, Eu-supply est une place de marché verticale dédiée au secteur du BTP", explique Patrice Colomb, son directeur général pour la France. Créée en septembre 1999, la start-up est opérationnelle en France depuis mai 2000 et installée dans une dizaine de pays au total. Elle propose aux entreprises du BTP de déposer leurs appels d’offres sur Internet puis, si elles le souhaitent, d’effectuer la négociation en ligne, grâce à un système d’enchères inversées qui mettent les fournisseurs en concurrence en temps réel. Par ailleurs, les entreprises qui veulent écouler des surplus ou du matériel d’occasion peuvent les proposer aux enchères. Enfin, pour les produits les plus standards, eu-supply.com regroupe des catalogues qui permettent de commander en ligne. Cette gamme d’offres est assez représentative de ce que l’on peut trouver sur la plupart les places de marché, tout comme les sources de revenus d’Eu-supply.
Commissions et abonnements, les deux mamelles des places de marché
Pour ses premiers mois d’existence, la start-up s’est rémunérée exclusivement en prélevant des commissions sur les transactions réalisées sur son site (à partir de 2,7 %, dégressives en fonction du montant). Mais depuis le 1er mars 2001, les fournisseurs doivent s’acquitter d’un abonnement (200 ou 400 euros par an) pour pouvoir définir leur éventail d’offres et ainsi être alertés automatiquement par courrier électronique lorsque des appels d’offres pouvant les intéresser sont mis en ligne. Par ailleurs, eu-supply.com propose aux entreprises des outils de planification et d’agrégation de leurs achats, moyennant 2 000 euros par an et par bureau utilisateur.
La neutralité, un atout dans les secteurs fragmentés
"Dans la construction, la chaîne logistique est particulièrement longue du donneur d’ordre au fabricant, impliquant de nombreux intermédiaires (agents, distributeurs, sous-traitants…), si bien que les déperditions dans les flux physiques et d’informations réduisent les marges de chacun des intervenants. Par ailleurs, le marché européen du BTP est extrêmement éclaté, les 30 plus gros constructeurs ne représentant que 13 % du marché, ce qui favorise une forte dispersion des prix pour une même prestation", analyse Patrice Colomb. D’où la nécessité, selon lui, d’une place de marché indépendante qui améliore la transparence des transactions. "Les entreprises internet adossées à de grands groupes perdent leur neutralité", assène-t-il, visant des initiatives comme Constructeo, annoncée par Vinci, ou Build2Pro, le projet de Saint-Gobain. L’histoire, encore courte, semble pour l’instant lui donner raison : cinq grands acteurs du bâtiment regroupés en juin 2000 pour lancer la place de marché Arrideo ont officialisé l’abandon du projet le 6 février 2001 avant même son démarrage opérationnel. De même, Bouygues aurait renoncé, du moins temporairement, à se lancer dans la bataille.
Vers des rapprochements entre indépendants et industriels ?
"La nécessité d’un tiers indépendant s’applique a priori à tous les marchés fragmentés", estime le directeur général d’Eu-supply. Dans le textile, on trouve Etexx ou Sourceronline ; dans les produits de la mer, PEFA ou Foodstrading ; le précurseur Celtipharm pour les produits pharmaceutiques ou encore buy-pack.com dans l’emballage. "La fragmentation est à double tranchant car réunir une masse critique de flux de transactions est plus compliqué que dans les secteurs concentrés. D’autant que les PME se méfient encore du commerce en ligne", tempère Steven Bolger, responsable en France de la place de marché du BTP BuildOnline. Par conséquent, BuildOnline met pour l’instant l’accent sur le développement technologique d’outils collaboratifs en ligne. En clair, les marketplaces indépendantes peinent à agréger un volume de transactions suffisant pour être rentables. De leur côté, les groupes industriels manquent de compétences technologiques. Selon Steven Bolger, ils pourraient donc vouloir s’allier avec des start-ups du B-to-B. Qui risquent fort de perdre alors leur neutralité.