Une pleine page dans la presse quotidienne. C’est la manière choisie par une trentaine de sociétés pour demander à France Télécom d’accélérer la mise en place d’une tarification pour les forfaits Internet illimités. A leur tête, AOL. Le fournisseur d’accès y a tout intérêt.
"Comment démocratiser immédiatement Internet en France ?" La question s’affichait, mercredi 28 janvier, en pleine page des quotidiens. Et la réponse quelques lignes plus bas : "Aujourd’hui, seule la mise en place dans les plus brefs délais d’une Interconnexion forfaitaire illimitée (IFI) permettra à l’ensemble des Français de bénéficier d’offres forfaitaires illimitées abordables et accessibles sur l’ensemble du territoire via une simple ligne téléphonique classique." Les signataires : une trentaine de start-ups, de fournisseurs d’accès et quelques bricks and mortars (comprendre : n’appartenant pas à la nouvelle économie), dont Royal Canin, réunis sous le nom d’IFI-France. Leader ? Officiellement... personne. Mais les signataires reconnaissent avoir été sollicités par AOL . Tous les chiffres utilisés dans la pétition sont, d’ailleurs, issus d’une étude SOFRES, commandée par AOL, rendue publique le 19 février. Exemple : "85 % des Français estiment que diminuer le coût des connexions permettra au plus grand nombre d’accéder à Internet." On s’étonnerait du contraire.
Les FAI trépignent
Adressée au président de la République, au Premier ministre et à plusieurs membres du gouvernement, la pétition s’attaque directement à France Telecom, accusé de ne pas mettre en place l’IFI avec suffisament de vélocité. L’interconnexion devrait en effet permettre aux fournisseurs d’accès de payer France Telecom en fonction de la quantité de données échangées par leurs abonnés. Et non, comme c’est le cas actuellement, en fonction de la durée pendant laquelle ils restent connectés. Pressé par le gouvernement et l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), France Télécom a annoncé la mise en place du dispositif avant la fin de l’été 2001.
Mais les fournisseurs d’accès trépignent. Car cette tarification forfaitaire leur est indispensable pour lancer des forfaits illimités. Jusqu’ici, tous ceux qui s’y sont risqués ont jeté l’ éponge de WorldOnline à Onetel ou à Freesurf. Un seul résiste, coûte que coûte : AOL.
Un intérêt particulier
Plus vite l’IFI sera instaurée par France Télécom, plus vite les Français pourront profiter de forfaits illimités à coûts raisonnables, entre 100 et 200 francs par mois Ce sera, sans aucun doute, "la clé de la démocratisation d’Internet en France", comme le souligne la pétition. Plus vite aussi, AOL résoudra ses problèmes. Car en France, le leader mondial est confronté à de nombreux procès pour publicité mensongère.
Depuis que, dans le courant de l’été 2000, AOL a lancé son forfait illimité "24 heures sur 24 et 7 jours sur 7", le fournisseur d’accès a fait naître de grands espoirs chez les Internautes. Mais très peu ont apprécié la pratique de la déconnexion automatique instaurée sans prévenir par la société, afin d’empêcher la saturation du Réseau. De la limite de l’abonnement illimité... À plusieurs reprises, Stéphane Treppoz, le PDG d’AOL, a donc interpellé le gouvernement et dénoncé la lenteur et la mauvaise volonté de France Telecom. La pétition - SA pétition ? - s’inscrit donc dans le droit fil de cette "action de lobbying", comme le fait remarquer Pierre-Alexandre Voye, de l’Association des Internautes Médiateurs (ADIM). Ce même 28 février, AOL comparaissait, en outre, en appel devant la Cour de Versailles dans le cadre du procès qui lui a été intenté par l’Union Fédérale des Consommateurs-Que choisir. En première instance, AOL avait été condamné à suspendre les facturations de ses abonnés et à verser 250 000 francs d’indemnités à Que Choisir. Du coup, l’initiative de la pétition apparaît sous un nouveau jour. Oscillant entre la défense de l’intérêt général et celle d’un souci particulier. "Le mélange des genres est possible, mais il y a une vérité de fond", constate Jean-Michel Soulier, directeur général de World Online. "Qu’on enlève une épine du pied d’AOL, en s’associant à cette campagne de presse, c’est possible. Mais cette tarification forfaitaire est de toute façon indispensable au développement d’Internet en France. Elle bénéficiera à tous." Patrick Gaudet, directeur général France de Kelkoo, enfonce le clou : "C’est un débat particulier du moment. AOL n’est que la partir émergée de l’iceberg. En signant la pétition, nous ne venons pas en aide à AOL, mais aux internautes."
Une efficacité en question
Cet avis est partagé par tous les fournisseurs de services sur le Net. "En tant que site marchand, nous avons tout intérêt à ce qu’il y ait plus d’internautes en France. On subit tous les conséquences des blocages actuels", fait remarquer Patrick Jacquemin, PDG de RueDuCommerce. Même son de cloche du côté des courtiers en ligne. "Il y a 5,6 millions d’actionnaires individuels en France, mais 430 000 seulement possèdent un compte en ligne. La pénétration d’Internet est insuffisante en France", analyse Clémence Decortiat de l’association Brokers Online. Quelle efficacité peut avoir une telle initiative ? Faible, si l’on en juge par les propos de Christian Pierret à La Tribune, jeudi 1er mars : "Je ne pense pas que les tarifs d’abonnement et les coûts de télécommunications constituent une barrière pour l’accès internet en France. Ils sont aujourd’hui parmi les moins chers en Europe." En outre, France Télécom a déjà reçu plusieurs avertissements de l’ART, sans grande conséquence. Patrick Thielemans, responsable du dossier à France Télécom s’étonne même de l’initiative des pétitionnaires. Selon lui, rien ne sera mis en place avant septembre prochain. "C’est un investissement financier énorme. Nous devons revoir toutes les infrastructures pour qu’internautes et non internautes ne pâtissent pas d’une dégradation du service." France Télécom redoute en effet une l’explosion des connections qui risquerait de dégrader le réseau téléphonique. Le coût de l’opération est estimé entre 500 millions et un milliard de francs. Et qui devra payer ? Les fournisseurs d’accès, assure France Télécom. La confrontation ne fait donc que commencer entre la veille dame et les (plus jeunes) venus.