Jean-Marie Messier critique le modèle de répartition des revenus de Napster et refuse de marcher avec l’alliance Napster-Bertelsmann.
Cette fois-ci, la chance de Napster tourne pour de bon, dirait-on. Alors que le logiciel de partage de fichiers musicaux a été téléchargé sur 60 millions d’ordinateurs dans le monde, les internautes semblent se résoudre à la fermeture prochaine du site. Quand bien même il survivrait au verdict des juges, accomplissant sa mue en service payant, la plupart des utilisateurs songent à changer de crémerie. C’est tentant : Gnutella, Freenet, leur tendent les bras. Et ces sites n’ont pas prévu de prélever une dîme sur le téléchargement de fichiers MP3.
Les majors courtisées
Mais il y a autre chose. Napster a besoin du soutien des majors pour vivre. Ce sont elles qui ont déposé une plainte contre la start-up, accusée de porter atteinte au copyright des auteurs et au porte-monnaie des éditeurs. À la fin de l’année dernière, l’une de ces Majors, Bertelsmann (propriétaire du catalogue BMG), a pris une participation dans Napster contre la promesse de rendre ce business payant, de façon à reverser les droits d’auteur. Début février 2001, le futur prix du service a été annoncé : ce sera 2,95 à 4,95 dollars par mois pour la formule de base, et 5,95 à 9,95 dollars pour la formule "complète".
On a pu croire un instant que l’industrie musicale allait suivre Bertelsmann, signer des accords commerciaux avec Napster, et miser sur le logiciel de peer-to-peer pour stimuler les ventes. Après tout, ce calcul n’a rien d’utopique : les ventes de disques ont battu un record aux Etats-Unis en 2000, malgré le boom de Napster. Le téléchargement de MP3 permet aux auditeurs de découvrir de nouvelles musiques et de faire des choix plus sûrs quand ils entrent chez leur disquaire. Andreas Schmidt, le PDG de la division e-commerce de Bertelsmann, a déclaré lors d’une conférence mercredi que Napster pourrait contribuer à faire croître le marché de la musique de 30 % en cinq ans. L’agence Reuters le cite : "Je ne crois pas que les maisons de disques y arriveraient seules."
Vivendi gêne les plans de Bertelsmann
Entre temps, Vivendi est devenue Vivendi Universal après sa fusion à trois avec Canal Plus et Seagram. Avec désormais 27 % du marché mondial de la musique, dont le catalogue Universal Music, cette Major basée en France surpasse l’ex-numéro Un de la musique en Europe, Bertelsmann. La rivalité s’est aiguisée entre les deux groupes.
Et Jean-Marie Messier, le PDG de Vivendi Universal, n’est visiblement pas près de signer un accord commercial avec Napster. Il a expliqué à Transfert que cette société qui n’est qu’une plateforme technique propose un modèle économique déséquilibré, injuste pour les auteurs : "Avec Bertelsmann, nous avons un désaccord économique sur la répartition. En gros, c’est 60 % pour la compagnie de musique, et 40 % pour le distributeur online. Sur la plateforme de distribution qu’est Napster, je considère que 40 % c’est trop." Par ailleurs, il ne reconnaît pas à Napster le droit de fixer les prix ou la fourchette de répartition des revenus - lire en filigrane qu’un hors-la-loi ne va pas définir les nouvelles règles de l’industrie musicale...
Jean-Marie Messier rappelle que Vivendi a attendu d’avoir la certitude, devant un juge que MP3.com respectait le droit d’auteur, pour signer un accord commercial. Ce dernier porte sur une centaine de millions de dollars, et il privilégie un autre modèle de répartition. "À la différence de ce qu’ont décidé nos confrères, chez nous 51 % des recettes vont aux auteurs. On a veillé à obtenir une répartition moitié-moitié, mais la grosse moitié pour les auteurs, et la petite moitié pour nous. Voilà pourquoi on n’a pas fait d’accord avec Napster."
Duet de titans
Derrière ce discours moralisateur, il y a un autre enjeu pour Vivendi Universal. Le groupe vient en effet de lancer une filiale commune avec Sony, Duet. À elle seule, cette société chargée d’exploiter le catalogue numérisé des deux majors détient la moitié du marché mondial de la musique. Duet pèse donc d’un poids sans précédent dans le secteur, qui justifierait sa décision de jouer cavalier seul. Vivendi et Sony laisseraient choir Napster. Quitte à développer leur propre logiciel de partage de fichiers et à distribuer gratuitement une partie des titres numérisés. On a suffisamment martelé que le peer-to-peer était l’avenir pour que même les Majors le comprennent. Selon l’expression du chanteur Sting, "on ne fera pas revenir le génie dans la bouteille".
Et ce n’est sans doute que le début des étripages entre majors. La guerre des partenariats, des standards sécurisés, des portails et des logiciels de partage de fichier ne fait que commencer dans la musique en ligne. S’accorder tous avec Napster, ç’aurait été trop beau, non ?