Les applications de la téléphonie mobile de troisième génération restent à découvrir et les modalités de facturation à inventer. C’est un marché prometteur pour les start-ups.
Solveig Godeluck |
Les opérateurs font pression sur nous pour que nous réduisions nos marges et que nous développions encore plus de services." Paul Amsellem (lire son
interview) a fondé Phonevalley en 1999 pour éditer des applications qui fonctionnent aussi bien sur différentes générations de téléphonie mobile que sur PC. Conscient de l’épreuve financière qui se dresse sur le chemin des opérateurs UMTS, le jeune homme ne s’en inquiète pas outre mesure. Selon lui, les possesseurs d’une licence compteront plus que jamais sur des start-ups comme la sienne, parce qu’ils doivent se recentrer sur leur métier de base et laisser à d’autres l’élaboration des contenus.
Le modèle DoCoMo
Comment
faire casquer le client ?
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Les opérateurs
français n’ont toujours pas dévoilé de système
de tarification des connexions sous UMTS.
Il y a une inconnue de taille pour le développement des applications
UMTS : la facturation. Tant que les opérateurs n’auront
pas trouvé le moyen de faire payer les services aux utilisateurs,
puis de redistribuer leur part aux fournisseurs d’applications, il
n’y aura pas de modèle économique viable dans l’UMTS.
Or, à ce jour, NTT DoCoMo est le seul à savoir comment faire.
Il gagne 13 dollars supplémentaires par abonné Internet,
avec un abonnement fixe, une facturation au volume (en kilo-octets), plus
les recettes des services optionnels.
Va-t-on payer à la session, au kilo-octet, à la page vue,
au hit ? En France, les nouveaux business models des opérateurs
sont un secret jalousement gardé. La seule certitude, c’est
que l’on ne peut plus continuer à fonctionner avec la tarification
à la durée. Parce que la connexion est permanente et parce
qu’il n’y a pas de raison pour que les consommateurs de texte
paient pour les consommateurs d’images animées, dévoreuses
de bande passante. Mais on revient au problème de l’acculturation
et de ses lenteurs, explique Paul Amsellem. "Explique à ta
grand-mère qu’elle ne doit pas consommer plus de 2 Mbits par
mois !"
Et pourtant, il serait urgent d’être fixé sur les modalités
de la tarification future. Parce qu’en attendant, les start-ups sous-traitantes
vivotent... |
"C’est effectivement une tendance dans le secteur, confirme Alain Blancquart, directeur général d’Openwave, la société née de la fusion de Phone.Com (l’inventeur du WAP) et de Software.Com (applications de messagerie). "
Les opérateurs gagnants aujourd’hui sont ceux qui soutiennent le développement d’applications nombreuses, notamment par des sous-traitants, comme NTT DoCoMo et BT."
Le modèle DoCoMo fait aujourd’hui rêver le monde de l’UMTS en Europe. Cette filiale du France Télécom japonais a réussi à faire adopter son standard national d’Internet mobile, le i-Mode, par 18 millions d’utilisateurs. Des milliers de PME gravitent autour du géant et développent des applications en c-HTML (condensed HTML) pour son service. "NTT est tellement puissant qu’il a pu dicter ses conditions à tous ses fabricants", précise Alain Blancquart. Un modèle économique qui s’apparente à celui du minitel : un monopole (ou quasi-monopole) des télécommunications joue le rôle du banquier pour une cohorte d’entreprises satellisées.
Pas d’application qui tue
Sur l’i-Mode, les applications qui marchent le mieux (on parle de killer applications) n’ont rien de faramineux. Pour deux dollars par mois, on peut recevoir un cartoon chaque jour, s’abonner à des jeux, choisir de nouvelles mélodies pour les appels... Ce n’est pas très high-tech, mais c’est ludique. Rien à voir avec ce que promettent les opérateurs européens, qui ont une vision bizness de l’UMTS.
D’après Paul Amsellem, trois catégories de services vont trouver leur public : "D’abord, l’urgence, pour laquelle il faudra réserver de la bande passante, donc payer un supplément. Cela concerne les secteurs de la finance, de la santé, bref, tout ce qui est alerte au sens large. Ensuite, les temps de friction : loisirs, transports en commun, week-end, pendant lesquels on se sert de son mobile pour le plaisir ou pour l’information personnelle. Et enfin, le champ professionnel, avec visioconférence, e-mail, travail collaboratif..."
Tout cela est bien beau, mais cela manque terriblement de killer app. Certains prétendent qu’il s’agira de la géolocalisation, c’est-à-dire la capacité à déterminer la position d’un mobinaute par rapport à l’emplacement des cellules téléphoniques. " Je suis dans la voiture, mon téléphone est connecté à un grand écran, je cherche un bon resto... le trois étoiles le plus proche m’envoie justement une bannière publicitaire ! ", s’enthousiasme Alain Blancquart. À d’autres, cela fait l’effet d’une douche froide. Etre pisté ainsi par les opérateurs en cheville avec les marchands n’a rien de rassurant pour la protection de la vie privée. Il est à parier que les Européens se mobiliseront contre le développement de tels services. Sauf exceptions - Alain Blancquart cite le pacemaker UMTS, qui analyse les battements de cœur, localise le malade et avertit le service hospitalier en cas de malaise.
Une autre killer app potentielle ? Le télépaiement sur un terminal mobile semble alléchant, quoique rarement évoqué. Selon Bruno Salgues de l’Institut national des télécommunications, cette pratique ne gagnera pas beaucoup de mobinautes : "Il faudrait un accord entre les banquiers et les opérateurs pour faire de la carte SIM une carte bancaire. Sinon, avec les terminaux bifentes, il y a trop de possibilités de fraude." Difficile de croire que l’establishment bancaire se prêtera à la manœuvre.
Décollage en douceur
L’UMTS, déjà en retard au plan des infrastructures et des équipements, miné par des dépenses somptuaires, serait-il finalement condamné par son inutilité ? "On ne verra pas en Europe une explosion des services Internet mobile comparable à celle du Japon, tempère Yves Gassot, chercheur à l’IDATE. L’UMTS ne sera pas là avant 2003 à 2004 ; les réseaux vont d’abord être en peau de léopard, ici GPRS, là UMTS. La mise en œuvre des services prendra du temps. De toute façon, la clientèle doit s’adapter au changement de logique économique des télécoms, du service téléphonique pur, fonctionnel, à une gamme de services multimédia. Les modèles économiques s’élaboreront ensuite."
Si " killer app " il y a, donc, on la découvrira à l’usage. Il se pourrait qu’elle ne soit pas dans le business, malgré le battage publicitaire présentant la panoplie du cadre branché en relation fusionnelle avec son mobile. L’exemple de DoCoMo abonde dans ce sens. De même, c’est le SMS (message court) qui a popularisé le cellulaire en Scandinavie.
Quoi qu’il en soit, le haut débit dans la téléphonie mobile, et les nouvelles modalités de la connectivité vont assurément changer la donne. Avec l’UMTS, c’est l’Internet always on (toujours connecté) qui se profile. L’équivalent du passage au câble dans le filaire. Non seulement les applications pourront être multimédias, donc plus confortables et plus variées, mais en plus, les technologies de push (de diffusion), telles que les alertes, vont se répandre. Tout cela sur un média éminemment personnel, contrairement au téléphone filaire familial, et qui vous suit partout, alors que l’ordinateur portable est moins pratique.
"Il y a une confusion qui vient de l’expression "Internet mobile", analyse Alain Blancquart. Imaginez plutôt la naissance d’un média entièrement nouveau. On ne surfera pas plus demain qu’aujourd’hui sur son cellulaire." Lui préfère parler de "mobilité" et se persuade que les mobinautes utiliseront pour cela plusieurs appareils de télécommunications, éventuellement éclatés entre un clavier, un écran, un élément de transmission. Lire entre les lignes : la "mobilité" n’a pas absolument besoin de "téléphones", ni en particulier de la norme UMTS...