Emprunter, ça coûte cher. Et encore plus lorsque les valeurs télécoms dégringolent en Bourse, parce que les agences de notation financière décotent les opérateurs. Il devient alors plus difficile de négocier des prêts. "Les banques sont devenues plus exigeantes, explique Luc Jeunhomme. Elles demandent aux actionnaires des projets UMTS un apport en fonds propres de 50 %." Un peu partout en Europe, les banques centrales ont exhorté à la prudence les créditeurs de la 3G. En France, les syndicats de banques jurent qu’ils ne remettront plus au pot en cas de dépassement des prévisions de dépenses. Ce qui n’impressionne pas beaucoup Luc Jeunhomme : "Ce sont de grandes déclarations qui relèvent plus de la position de négociation que de la réalité. Ça fait déjà plus d’un an que nous sommes préparés à la révision à la baisse des perspectives de chiffre d’affaire des opérateurs. Nous savons qu’il faudra attendre 2010 à 2012 pour être remboursés. Mais nous n’allons pas tuer le projet." À cet horizon, les banquiers tablent sur un taux de pénétration du téléphone cellulaire de 75 % en France. D’où leur motivation.
La prime aux sortants
Et ces nouveaux banquiers que sont les équipementiers, qu’est-ce-qui les pousse ? Ericsson, Alcatel, Nokia, etc., accordent aux opérateurs des crédits UMTS qui couvriraient entre 100 et 200 % des besoins de financement des opérateurs ! Le phénomène n’est pas nouveau, mais jamais les constructeurs de terminaux ne se sont autant mouillés. Yves Gassot, expert à l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE), explique ce changement d’attitude par les faillites récentes d’opérateurs de communications aux ...tats-Unis. Au lieu de couper les vivres à ces clients fragiles, les constructeurs ont choisi d’investir encore plus.
En contrepartie, ils ont mieux sélectionné les opérateurs : "Ils sont devenus plus regardants sur la taille du marché, et sur la possibilité de partager les risques avec d’autres créditeurs. De fait, les opérateurs possédant déjà une base installée en GSM ont été favorisés, ainsi que ceux qui dégagent du cash chaque fin de mois, comme France Télécom." Que l’ex-monopole public soit endetté jusqu’au cou n’est pas très gênant. L’important, c’est de savoir faire payer l’utilisateur. Dans ce contexte, le retrait de dernière minute de la candidature Suez-Lyonnaise/Telefónica pour une licence UMTS en France paraît judicieux. Les financements ne vont pas aux nouveaux entrants.
Faut-il alors croire la prévision de Lars Godell, de Forrester Research ? Il prophétise que seuls cinq opérateurs survivront à l’UMTS en Europe. Ce seront Vodafone, Deutsche Telekom, France Télécom, BT, plus un outsider qui pourrait être KPN, Telefónica, Telecom Italia ou NTT DoCoMo. Leurs concurrents feront faillite ou seront rachetés. On assisterait alors à une deuxième vague de concentration dans les télécommunications européennes. "C’est dans l’ordre des choses, plaide Alain Blancquart, de la société Openwave, qui développe des plate-formes pour la téléphonie mobile. Combien y a-t-il de fabricants de voitures et d’avion dans le monde ? Vodafone possède déjà 50 à 60 % du marché de la grande Europe et la consolidation devrait se poursuivre."
Espérons qu’elle ne se fera pas sur le dos des mobinautes. S’il ne restait plus qu’une poignée d’opérateurs, un oligopole naîtrait sur les cendres des monopoles publics. Avec à la clé des factures un peu plus salées, faute de concurrence. Yves Gassot n’y croit absolument pas : "L’effervescence technologique, qui nécessite des adaptations rapides, une créativité permanente, nous sauvera des oligopoles. La chaîne de valeur de l’Internet mobile est tellement complexe, que les opérateurs doivent compter sur des compétences ou des marques qui leur sont extérieures, d’AOL à Carrefour et à Darty." À moins que les nouveaux maîtres des télécoms n’aient plus un vaillant sou pour s’offrir les services de ces prestataires...