Le cataclysme financier qui se prépare dans le monde des télécoms européens, "rançonnés" par l’UMTS, va aboutir à une concentration du secteur.
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lié : Interview de Lars Godell en 3 questions
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"L’UMTS,
c’est comme Winnie l’Ourson"
Analyste chez Forrester Research, Lars Godell est l’auteur de l’étude
Europe’s UMTS Meltdown. Publiée en janvier 2001, elle prophétise
une débâcle financière et une concentration des télécoms
en Europe .
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Janvier 2001 : l’analyste Lars Godell, de la société d’études Forrester Research, jette un pavé dans la mare des télécoms européens. Il publie un rapport qui fait tache dans le pays des merveilles de l’UMTS (lire son interview). Selon ce Norvégien, ce n’est pas la technologie qui est en cause, mais le montant des investissements consentis par les opérateurs. Ces derniers n’ont pas pris en compte l’inéluctable diminution de leurs marges dans un contexte concurrentiel accru.
"L’Internet mobile ne financera pas l’UMTS, argumente-t-il dans son rapport. La consommation et les abonnements de l’Internet mobile, en plein essor, ne pourront compenser un déclin de 36 % des revenus traditionnels (des opérateurs de télécommunications), entraînant une chute de 15 % des recettes moyennes par utilisateur d’ici 2005. Les bénéfices d’exploitation vont disparaître en 2007 et ne reviendront pas avant six ans, provoquant d’énormes faillites et une concentration massive de l’industrie (des télécommunications)."
Licences : trop chères
Les dérapages financiers commencent avec l’attribution des licences dès l’an 2000. L’euphorie netéconomique bat son plein ; les cours des opérateurs flambent ; et l’Internet mobile semble à portée de main. Les gouvernements fantasment sur les recettes des enchères organisées en Grande Bretagne, qui ont rapporté à l’Etat 37,5 milliards d’euros (245 milliards de francs) pour cinq licences. En Allemagne, les six licences, également cédées au plus offrant, ont été cédées pour une somme cumulée de 50,5 milliards d’euros. L’Autorité de régulation française a prudemment choisi un concours – même s’il y aura a priori autant de candidats que de licences fin janvier, date limite de remise des dossiers.
Mais les prix restent élevés. Martin Bouygues, l’un des quatre candidats UMTS, mène la jacquerie, en publiant des tribunes énervées dans la presse (1) : "La France a retenu le concours de beauté mais a fixé un montant de 130 milliards de francs à payer par les quatre opérateurs, soit au total une charge supérieure à celle que devront payer les opérateurs anglais, compte tenu du coût de déploiement français et de la durée respective des licences." À quoi fait-il allusion ? À la faible densité de peuplement française, qui empêche de rentabiliser rapidement les investissements de réseau, et à la durée de 15 ans de la licence (25 ans en Grande-Bretagne). En définitive, explique-t-il, la licence constitue une telle barrière financière à l’entrée du marché de l’UMTS, qu’elle va à l’encontre de l’objectif concurrentiel posé par la Commission européenne : favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs.
À la calculette
Selon Luc Jeunhomme, ingénieur-conseil spécialiste des télécoms chez BNP-Paribas, ces arguments ne tiennent pas la route et les licences françaises ne sont pas aussi chères que cela. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est livré à quelques calculs. Il a rapporté le prix des licences au nombre d’habitants dans le pays et à la durée de validité des concessions. Puis il a pris en compte l’échelonnement des paiements – sur 15 ans en France. Résultat : l’UMTS allemand et britannique coûtent les yeux de la tête, dans les 30 euros (200 francs) par mobinaute ; le néerlandais est une occase, à 10 euros (56 francs) ; l’italien et le français, à 20 euros (130 francs), sont dans la moyenne.
"Je ne dis pas que le prix français est "raisonnable", justifie l’analyste, dont la banque est l’un des grands créditeurs des opérateurs pour l’UMTS en France. Simplement, il faut rester objectif. Par exemple, l’obligation de couverture n’est pas fixée par rapport au territoire, mais par rapport à la population. La densité de peuplement n’est donc pas un problème." Sauf , bien sûr, pour les habitants des zones qui ne seront justement pas couvertes… Mais c’est une autre histoire.
Certes. Bouygues fait sans doute œuvre de lobbyiste en déposant une plainte à la Commission, en hurlant à la mort des "petits". C’est d’ailleurs une posture qui lui est familière depuis ses premiers pas dans la téléphonie mobile, avec le GSM. Or Bouygues est toujours vivant et en bonne santé, fait remarquer avec une ironie non dissimulée un observateur des télécoms. Là n’est pas la vraie question. On peut se demander, en revanche, pourquoi les gouvernements européens ont eu la main si lourde avec l’UMTS, alors que les licences GSM étaient gratuites ou presque. 32,5 milliards de francs pièce, contre zéro hier. (À suivre demain)
(1) Les ...chos
, 4 décembre 2000, "Impôts mortels dans le téléphone"
Le Monde
10 mai 2000, "Mortelles enchères dans le téléphone"