15/01/2001 • 11h57
ARCHIVES 1.09 - Saturday Lan fever
Sur fond de house, entre sandwiches grecs et sacs de couchage, 120 cyber-héros vont s’affronter tout un week-end. C’est une Lan party en banlieue parisienne.
« Garde la porte ! Garde la grande porte ! » Le cri frôle l’hystérie. « Ils sont rentrés ! On va se faire rusher ! Faut rester groupés, c’est clair ! » Moloch, 25 ans, ingénieur réseau le jour, tourne la tête une demi-seconde. Erreur. À l’écran, son personnage tombe sous les balles d’une faction antiterroriste. Le joueur s’en relèvera. L’adversaire, lui, vient de marquer un point. « La team adverse est expérimentée, explique Moloch. Ils connaissent les maps par cœur. On n’a pas beaucoup de chances de gagner. » Il est 2 heures, ce samedi soir de septembre. Au Kremlin-Bicêtre, dans la banlieue sud de Paris, les amphis prêtés par l’Epita - ...cole pour l’informatique et les techniques avancées - sont devenus deux gigantesques salles de jeux.
Au fil de l’après-midi, 120 personnes y ont pris place. Des garçons de 15 à 25 ans, baskets et tee-shirts aux couleurs des sites web à la mode. Certains arborent un bouc qui signe leur ancienneté. Dans la pure tradition de ces rassemblements géants de joueurs en réseau appelés Lan parties - de « local arena network » -, chacun est venu avec sa machine. En échange d’une pièce d’identité, tous reçoivent des badges avec leurs pseudos. « Important, le nickname. On l’a choisi et il nous appartient. Pas comme le nom de famille », explique Clément, alias Cyberclems. Il doit avoir une vingtaine d’années et préside l’association organisatrice, Cycom, qui rassemble une dizaine de personnes, étudiants en informatique ou ingénieurs réseau.
Laisser-passer en poche, chacun bricole sa configuration, seul ou en bande : « T’as pas une carte réseau ? » - « Prends la mienne. Je m’en sers pas. » L’entraide est de mise. Sur les tables s’alignent tous les styles d’ordinateurs. Beaucoup de grandes tours à demi éventrées. Les PC compacts, flambant neufs, trahissent les novices. Et les rares ordinateurs portables à écran large, le haut pouvoir d’achat de leurs propriétaires. Contrairement aux tournois élitistes, les Lan parties organisées par Cycom sont ouvertes à tous. Y compris aux « newbies », les débutants. Ici, pas de prix à gagner, mais du fun pour tout le monde.
Au fond de la salle principale, les techniciens montent le serveur. « Pour une fois, on n’a pas eu de problème d’électricité ni de plantage réseau », constate Cyberclems. Seul pépin, une vis tombée sur une multiprise a fait redémarrer 60 ordis. Dans la salle, pas de panique. Juste une clameur unanime et des applaudissements.
19 heures. L’ambiance s’échauffe. Dans l’amphi le plus vaste, une sono musclée crache de la house bon marché. Les fêtards s’agglutinent près des enceintes. Les puristes vont se concentrer dans la seconde salle. Une heure plus tard, les configurations sont prêtes. Ce soir, sur les tableaux noirs de l’école s’affichent les adresses IP des serveurs dédiés aux différents jeux. Un clan s’apprête à entamer une partie de Counter Strike. Mais au moment crucial, impossible de lancer le tournoi : les teams sont partis se ravitailler en sandwiches chez le Grec d’à côté. L’affrontement sera pour plus tard. En organisateur expérimenté, Cyberclems improvise une cuisine dans un étroit couloir. Sa pâte à crêpe comblera les fringales de la nuit.
22 heures. Tout le monde est en jambe. Au programme : trois tournois successifs. Counter Strike, une lutte entre terroristes et antiterroristes, StarCraft, le jeu de référence qui allie stratégie et action, et Quake 3, le shoot them up incontournable.
Pendant que les Counter strikers s’organisent, les autres s’affrontent entre eux. Le signal est enfin donné. Les joutes ont lieu par équipes de cinq et le principe d’élimination directe envoie les perdants au tapis sans repêchage. Une team semi-pro, cinq garçons en tee-shirts jaunes et bleus, exulte. Victoire des « BN ». « Ça veut dire branleurs de la nuit, sourit BN Kratul, un grand type aux cheveux courts. Mais notre team officielle n’existe plus. On s’est trop fait repérer. »
3 heures. Cyberclems recrute les joueurs de Quake 3 pour le second tournoi. Les plus fatigués sortent leurs sacs de couchage. D’autres dodelinent, scotchés à un film de Schwarzenegger. Avec l’aube vient la fatigue. Les champions se sont battus toute la nuit et refusent de reprendre une partie. La suite de la matinée évoque une fin de bal populaire. En groupe, des joueurs au teint hâve repartent, ordinateur sous le bras. Le prochain départ en masse aura lieu - c’est presque une tradition - vers 14 heures. Seuls les accros s’acharneront jusqu’à 18 heures. Ensuite, extinction des feux et rangement de la salle. « Pire que de monter un réseau », soupire Cyberclems au milieu des paquets de chips éventrés et des canettes de soda vides. « On aime bien quand les joueurs restent pour filer un coup de main. » Autour de lui, une dizaine de personnes démontent les réseaux. L’un d’eux soupire. « On en a jusqu’à minuit. » Dans les locaux de l’Epita, le silence a repris ses droits. Seul grésille dans un coin le distributeur de junk-food, vidé aux trois-quarts. Au milieu des sacs-poubelles, les cyberhéros sont fatigués.
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