Á Autrans, dans le Vercors, le colloque sur " l’Internet rapide pour tous " a montré l’enthousiasme des collectivités territoriales pour le haut débit. Des espoirs vite douchés par le pragmatisme économique des opérateurs.
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Deux mondes se sont entrechoqués lors de la cinquième édition du colloque organisé du 10 au 12 janvier à Autrans (Isère) par l’Internet Society France, intitulé cette année "l’Internet rapide pour tous"... sans point d’interrogation. Deux mondes qui se sont écoutés, mais qui ne se sont pas compris. Le premier était celui des opérateurs et des investisseurs, le second, celui des maires, des associations, des PME, et de tous ceux qui voient en Internet une chance unique de développement pour le monde rural.
Autrans était le lieu idéal pour poser le problème. Dans cette commune de 1 500 habitants, cachée au creux d’une vallée secrète du Vercors - où "
ceux d’en bas" viennent plutôt faire du ski de fond que discuter aménagement du territoire -, la moitié de la population disposerait d’une connexion Internet, selon le sénateur-maire du village, Jean Faure. Une proportion hors du commun pour une région montagneuse. Dans un message transmis aux congressistes, le président Jacques Chirac a fourni l’un des éléments centraux au débat, rappelant que "
aujourd’hui, près de 15% du territoire français n’est toujours pas couvert par les réseaux de téléphonie mobile". Et encore, ce chiffre "
est loin de refléter les inégalités territoriales flagrantes qui existent dans le domaine des télécommunications", comme le remarque un spécialiste du conseil en équipement internet (voir la carte de l’ADSL en France). Selon l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), à peine 1% des internautes français se connectent grâce au câble. 96% passent encore par une connexion modem traditionnelle.
12 millions de Français privés d’Internet rapide ?
Le monde des industriels des télécoms s’est exprimé par la voix de Jean-Jacques Damiaman, de France Télécom. L’argument du directeur de la branche développement de l’opérateur historique n’appelait pas de réponses : "Pour des questions de rentabilité, France Télécom ne souhaite pas investir en équipements haut débit dans des villes de moins de 15 000 habitants, reconnait-il. Quant aux agglomérations de 15 000 habitants, elles ne pourront pas être équipées avant au moins 2003." Cette assertion ne surprend aucun spécialiste, mais elle a au moins le mérite de la clarté. Elle signifie que dans le Gers, par exemple, seul Auch, le chef-lieu (21 000 habitants) peut espérer être connecté à haut débit. Le reste de ce département peut toujours attendre...
"15 000 habitants, moi, je n’appelle pas ça un petit village paumé", commente un congressiste, un verre de Gaillac à la main. Un têtu insiste : Yves Pillet, maire PS de Pont-en-Royan, 920 habitants (lire interview) aimerait avoir une idée du prix du mètre de câble pour équiper les communes du parc du Vercors, dont il est le président. Interpellé, le représentant du conseil régional Rhône-Alpes lui oppose un silence pudique. Stéphane Lelux, directeur de Tactis, une société spécialisée dans le montage de projets touchant aux nouvelles technologies pour les collectivités locales, estime que "pendant les cinq à huit prochaines années, entre douze et quinze millions de Français resteront à l’écart des progrès technologiques des télécommunications".
Les ronds-points contre le câble
En face, les collectivités territoriales, qui voient l’arrivée du haut débit comme un moyen de sortir beaucoup de régions de l’enclavement, ne sont pas sûres de pouvoir en assumer le coût. "Ce sont les territoires les plus pauvres qui devront payer le plus cher leur équipement", remarque Stéphane Lelux. Un intervenant parle pourtant de l’Internet rapide comme d’un "service public universel", au même titre que le téléphone. Cet illuminé s’appelle Thierry Bardy et il a été à l’origine, dès 1995, de la création d’une boucle haut débit à Castres, dans le Tarn. S’ils veulent avoir, eux aussi, une chance de passer à l’Internet rapide, dans les années à venir, les élus ruraux devront compter sur les fonds européens d’investissements. "Mais ces fonds sont très longs à débloquer", témoigne Jean Faure, le maire d’Autrans. Thierry Bardy lui répond : "Le problème n’est pas d’obtenir ces fonds, c’est que les élus préfèrent encore les investir dans des ronds-points que dans du câble."
Le haut débit et le lave-vaisselle
Dépités, les représentants des collectivités ont feint de demander si l’Internet rapide leur était vraiment indispensable. "On peut très bien se remettre à vendre du jus de pomme et à faire du tourisme vert", a lancé Jean Faure, avec plus qu’un brin d’ironie. Un raisonnement que rejette en bloc Stéphane Lelux : "Ce que le haut débit permet, ce n’est pas de surfer plus vite, c’est de pouvoir utiliser Internet sans aucune restriction. Par rapport à l’utilisation classique du Web, c’est exactement comme lorsque l’on est passé de l’époque du seau d’eau que l’on allait tirer du puit, à l’eau courante au robinet. Cela va tout changer." Jacques Marchandise, membre de la Fondation Internet nouvelle génération, s’interroge : "Mais comment savoir si les tuyaux ne vont pas être trop gros par rapport aux besoins réels ? Et si le haut débit ne servait qu’à transmettre des heures de vidéo à sens unique ?"
L’expérience de Castres apporte quelques réponses à ces questions. D’après Thierry Bardy, "depuis que Mazamet et Castres sont passés au haut débit, de nouvelles pratiques sont apparues, qu’on n’aurait pas pu prévoir avant". Il ajoute : "Et puis ça a permis à une région sinistrée par la mort de l’industrie textile de garder chez nous 250 chercheurs à haut pouvoir d’achat des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre. Sans le haut débit, ils seraient déjà partis en banlieue de Toulouse ou à Genève." Un plaidoyer que Stéphane Lelux résume par cette formule : "Avant l’eau courante, personne ne pouvait imaginer le lave-vaisselle." Venu à Autrans pour écouter et apprendre, Xavier Fribourg n’a pas été déçu. Cet "agent de développement local", qui travaille pour plusieurs PME de la région de Barcelonette (Alpes de haute Provence, 2 800 habitants), résume ces journées : "C’est marrant de voir toutes ces pubs où l’on voit des types utiliser leur téléphone wap en haut d’une belle montagne ou en plein désert. Ici, j’ai appris que si t’habites dans des coins comme ça, t’es pas rentable, point."
Trois
questions à :
Yves Pillet, maire PS de Pont-en-Royans (Isère, 920 habitants)
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"On a
plus qu’à retourner à nos sabots" Yves Pillet, président du parc naturel
du Vercors, regrette que le débat d’Autrans n’ait pas fourni de pistes sérieuses
pour l’accès au haut débit dans les petites communes.
Qu’est-ce que le haut débit pourrait apporter au Vercors ?
Ici, sur le plateau du Vercors, ça ne fait que quelques dizaines d’années
qu’on a l’électricité et des routes goudronnées. Si toute la région de Villard-de-Lans
s’est tellement investie pour faciliter l’accès à Internet, c’est essentiellement
pour faciliter le télétravail et l’implantation de nouvelles entreprises.
Quand toutes les entreprises urbaines seront de passées au haut débit, on
devra suivre, c’est obligatoire.
Est-ce envisageable financièrement ?
J’ai bien peur que non. En tout cas, France Télécom ne nous laisse guère
d’espoir sur ce point (lire notre article principal). J’ai peur qu’une fois
de plus, on ne soit servis qu’en tout dernier, en même temps que les autres
régions un peu excentrées (Villard-de-Lans se trouve à 20 km de Grenoble,
NDLR). Les industriels des télécoms investiront seulement dans des territoires
où ils sont sûrs de toucher un flux important de clientèle. Pas chez nous.
Donc, comme d’habitude, les entreprises modernes iront ailleurs : en périphérie
urbaine, une fois de plus. Internet peut aider à inverser ce phénomène de
désertification, mais seulement si les pouvoirs publics poussent à la roue.
La manifestation d’une telle volonté politique, moi je l’attends encore.
Le Vercors sans le haut débit, c’est encore le Vercors, non ?
C’est ça, on n’a plus qu’à retourner à nos sabots, quoi. Le Vercors se bat
depuis cinq ans pour développer Internet. Presque la moitié de la population
locale est connectée (une proportion plus proche de celle des ...tats-Unis
que de celle de la France, NDLR). Mais si on ne peut pas passer au haut
débit rapidement, c’est comme si on n’avait rien fait.
Propos recueillis par Matthieu Auzanneau |