TRANSFERT S'ARRETE
Transfert décryptait l'actualité des nouvelles technologies,
proposait un fil info quotidien et une série d'outils de veille. Notre agence, refusant toute publicité,
dépendait de ses abonnements.
Les nouvelles têtes, c’est tout ce qui intéresse Pascale Ruben et Sandra Terryn. L’une est comédienne, l’autre, directrice de casting. Fatiguées de travailler dans un milieu sclérosé par l’argent et les habitudes, elles ont lancé leur propre agence de casting, mais sur le Net.
La boutique fait tache dans la rue. Ce n’est pas une question de couleur. La façade est d’un blanc étincelant. Mais dans ce quartier piétonnier, tout près du square des Batignolles, au milieu des pressings, restaurants et autres bureaux de tabac, une start-up, cela se remarque. "Il y a des gens qui entrent juste pour nous demander ce que l’on fait", sourit Pascale Ruben, l’une des cofondatrices de lescybertalents.com. Et la boutique ouverte sur l’extérieur, c’est volontaire. "En France, les comédiens ne peuvent rencontrer personne. Ils se sentent très isolés, notamment quand ils ne jouent pas. Nous, on est là pour les recevoir, pour les accompagner dans leurs démarches", continue Pascale Ruben. Lescybertalents.com ne sont pourtant pas un cabinet d’assistantes sociales. C’est un site, créé il y a trois mois, pour faire se rencontrer les comédiens, les réalisateurs et les producteurs. "Il y a de gros problèmes de circulation de l’information dans ce milieu qui est pourtant un métier de communication", explique Sandra Terryn, l’autre cofondatrice. Alors, les deux filles, frustrées par "la sclérose d’un milieu où l’on voit toujours les mêmes personnes", se sont lancées à leur propre compte. L’une est comédienne, l’autre directrice de casting, un assemblage idéal pour comprendre les attentes des uns et des autres et "donner leur chance à tous", leur crédo.
Bousculer le milieu
Pascale s’occupe de recevoir les comédiens et comédiennes et de préparer la vidéo de présentation, disponible sur le site avec leur CV et leurs photos. "Ce n’est pas toujours évident, car ils renvoient beaucoup de choses qui me sont proches. On peut ressortir miné par une journée de boulot parce que ce sont des personnes qui n’ont souvent personne à qui parler", regrette Pascale Ruben. Mais elle se fait un devoir de ne jamais leur donner trop d’espoirs. "Quand ils ont des photos qui ne sont pas bonnes, je leur dis franchement. On se retrouve finalement à faire le travail d’un agent. Mais les agents s’occupent de 50 à 100 acteurs et ne misent que sur une dizaine. Et bien, nous, on mise sur le reste. Sans compter sur les 80 % d’acteurs qui n’ont pas d’agent", constate-t-elle.
Les deux "bonnes sœurs du Net", comme elles s’appellent parfois en riant, ne vivent pas que sur leur rêve utopique de "faire les choses différemment". Elles ont conscience de bousculer un peu le milieu des agences de casting. Certaines comprennent très bien l’intérêt de l’outil Internet, mais d’autres sont plutôt inquiètes. Pour faire son trou, il faut aussi redonner confiance aux comédiens qui, crédules ou en galère, ont été abusés financièrement par certaines agences. Ce n’est pas parce que c’est du Net, que ce n’est pas sérieux. Mais depuis peu, il y a toutes ces histoires de fichiers de comédiens qui sont l’objet de plagiat ou de copies sur le Réseau. "On les informe sur la réalité de ce métier. On essaye de leur donner les outils pour qu’ils puissent se battre", affirme Sandra Terryn.
La jungle artistique
Si elles essayent de donner à "leurs" comédiens les moyens d’affronter la jungle artistique, Pascale Ruben et Sandra Terryn ont également dû s’armer pour affronter une autre jungle, celle des start-ups. Première tâche : maîtriser un vocabulaire qui leur était complètement étranger. " Business-plan ", " business-model ", ça y est, elles font la différence. "Comme tous les gens qui entreprennent, on fait des erreurs. Il s’agit de ne pas en faire de trop graves, du moins d’irréversibles, relève Pascale Ruben. On est assez lucide sur ce qu’on sait faire et ce qu’on ne sait pas faire." Deuxième boulot : convaincre des investisseurs. Difficile en cette période. Mais pour faire tourner le commerce, les deux jeunes femmes fourmillent d’idée. Pay-per-view, paiement au clic, forfait, les sources de revenus sont multiples. La première version du site, actuellement en ligne, va rapidement évoluer. "Du référencement d’acteurs, on est passé au casting virtuel", analyse Sandra Terryn. En vue, l’européanisation du cinéma. Dans le cadre des coproductions, les producteurs sont soumis à des quotas et doivent donc chercher leurs acteurs un peu partout. Le Net leur offre la possibilité de découvrir rapidement de nouvelles têtes. Voire de les auditionner en ligne. Les productions de jeunes réalisateurs, les publicités et les films institutionnels sont également de potentiels clients des Cybertalents. "Nous venons de réaliser un casting pour un film institutionnel de La Poste. On s’échangeait les photos et les vidéos par mail. On a gagné un temps fou", s’enthousiasme Sandra Terryn.
Happy end ?
Mais, comme toute l’économie du Net en ce moment, elles ne savent pas avec certitude comment elles vont évoluer. Signe encourageant : en trois mois, elles ont déjà généré du chiffre d’affaires. Intégrer un incubateur ou s’adosser à un industriel du milieu, elles n’ont pas encore fait le choix. Elles ont conscience d’être un peu "folles" de s’être lancé comme cela avec leurs propres fonds. "Mais c’est ça la vie, c’est cela qui est excitant. Vous croyez qu’un comédien n’est pas mort de trouille quand il est tout seul sur scène ou quand on prononce le mot " action" ?", note Pascale Ruben. Et si la vie fonctionne comme dans un film, alors, elles espèrent juste un "Happy end".