Le Congrès américain a adopté, le 15 décembre, un amendement rendant obligatoire l’utilisation de logiciels de filtrage dans les lieux publics d’accès à Internet subventionnés par le gouvernement fédéral. Qu’elle soit mineure ou majeure, toute personne voulant surfer dans un tel lieu accèdera à un Internet censuré.
Par 292 voix contre 60, la chambre américaine des représentants a adopté, le 15 décembre, un amendement rendant obligatoire l’installation de logiciels de filtrage dans tous les lieux publics d’accès à Internet qui bénéficient de subventions fédérales. Le Sénat a voté l’amendement dans les mêmes termes. Les écoles et les bibliothèques qui refuseront de se plier à la loi perdront leurs subventions. Les établissements concernés, que le gouvernement fédéral soutient financièrement, sont la plupart du temps situés dans des quartiers défavorisés. Le texte de l’amendement n’établit pas de distinction entre les adultes et les mineurs : toute personne voulant accéder à Internet depuis une bibliothèque publique serait donc soumise au filtrage. Le débat sur l’amendement a eu lieu dans l’urgence, au cours des tous derniers débats sur la loi budgétaire, devant un Congrès en sursis, qui attend l’arrivée des nouveaux parlementaires élus en novembre. Il ne manque plus que la signature du président Bill Clinton pour que le texte prenne sa pleine valeur légale.
Aucun cas de conscience
Initiée par le sénateur et ancien candidat à la présidence John McCain, la campagne visant à implanter des logiciels de filtrage dans les écoles a reçu, en deux ans, un soutien quasi unanime de la classe politique. L’idée a été reprise par Bush, puis Gore au cours de leur course à la présidence. Le fait que ces filtres font mal leur boulot (lire Filtrage ou censure ?) n’a, semble-t-il, posé de cas de conscience à personne. Au début de l’année 2000, une commission de dix-huit parlementaires mandatée par le Congrès avait pourtant rendu un avis défavorable au blocage de sites internet par des logiciels. La commission avait jugé ce type de logiciels "peu fiables". Un euphémisme. Le Congrès n’a pas tenu compte de l’avis de la commission. Jamie McCarty, auteur de plusieurs rapports mettant en exergue l’inefficacité des logiciels de filtrage, expliquait récemment dans une interview publiée par Transfert(n°10, p. 12) : "Si un élu dit qu’il est contre le blocage de sites, on l’assimile aussitôt à un pornographe. Un vrai suicide politique."
Contre-attaque juridique ?
Peacefire, une organisation américaine qui lutte contre les logiciels de filtrage, a aussitôt mis en ligne sur son site un programme gratuit qui permettrait de contourner la plupart des filtres disponibles dans le commerce aux ...tats-Unis. L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a fait savoir le 19 décembre qu’elle envisage de porter plainte contre l’amendement adopté par le Congrès. Selon l’ACLU, le texte est contraire au premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté d’expression. Chris Hansen, un juriste membre de l’ACLU, a déclaré au cours d’une conférence de presse : "Pour la première fois depuis la création des premières bibliothèques publiques locales au XIXe siècle, le gouvernement fédéral va imposer une censure qui frappera jusqu’au dernier petit village du pays." L’Electronic privacy information center (EPIC), une autre importante organisation de défense des libertés individuelles sur Internet, a également exprimé sa ferme opposition à l’amendement.
Caution scientifique
Pendant ce temps, une commission sur la pornographie en ligne et les "contenus inappropriés", créée par la très sérieuse et très respectée Académie nationale des sciences américaine, poursuit ses auditions depuis plus d’une semaine. Elle entend des arguments de tous bords afin de proposer au Congrès "les solutions adéquates pour contrôler la transmission électronique d’images pornographiques". La lutte contre la pornographie sur Internet est probablement le sujet de polémique le plus éculé de la Toile, mais il est devenu un enjeu majeur du débat politique. Les Républicains ont promis à de nombreuses reprises que lorsque George W. Bush serait élu, il pousserait le département de la Justice à poursuivre les auteurs de sites "obscènes". La commission de l’Académie des sciences, mandatée par le Congrès, semble donc tomber à pic. Jamie McCarty remarque : "Le Congrès cherche des soutiens tous azimuts pour appuyer sa politique de censure. Et quoi de plus convaincant qu’une caution apportée par des scientifiques." L’Académie des sciences a passé un appel public à contributions sur le thème du contrôle de "l’obscénité" en ligne. Si le cœur vous en dit : itasnrc.org...
L’EPIC:
http://www.epic.org
L’Académie américaine des sciences:
http://www.itasnrc.org
Peacefire:
http://www.peacefire.org
L’association américaine des bibliothécaires:
http://www.ala.org/washoff
L’ACLU:
http://www.aclu.org