Voici quelques mois, les Anglais se dotaient d’une loi qui permettait aux services secrets d’enregistrer tout le trafic internet. Aujourd’hui, ils veulent enregistrer toutes les communications téléphoniques. Et archiver le tout pendant sept ans.
Les services de renseignement britanniques ne manquent pas d’air. Selon un rapport classé secret, confié en août dernier aux instances gouvernementales du pays et rendu public ce dimanche par The Observer, ils réclament purement et simplement le droit d’enregistrer toutes les communications téléphoniques. Pas une conversation échangée entre tel ou tel suspect, mais tous les appels téléphoniques quels qu’ils soient. Ils demandent aussi le droit de les archiver pendant sept ans. Rien que ça. Au nom, bien évidemment, de la lutte contre la criminalité sous toutes ses formes, la pédophilie, le trafic de drogue, le blanchiment de l’argent sale, etc. S’ils n’ont pas encore demandé à pouvoir ouvrir tout le courrier postal, ils avaient déjà obtenu le droit avec le RIP Act, voté l’été dernier, d’enregistrer tout le trafic internet de leurs concitoyens, ce qui avait soulevé un tollé tant médiatique que politique. Mais le RIP Act était passé (lire Big Brother loge à Big Ben).
En toute impunité
Au détour de ce nouveau projet, les services de renseignement réclament le droit de pouvoir archiver pendant ces sept ans tous les e-mails et pages web visitées. ...manant de l’une des personnalités les plus influentes de la communauté du renseignement britannique, Roger Gaspar, du National Criminal Intelligence Service, ce document est co-signé par l’Association of Chief Police Officers, la douane, les services de sécurité et de renseignements, et le GCHQ, chargé des interceptions électroniques pour le compte du programme anglo-saxon Echelon. Tout comme avec le RIP Act, il n’est prévu ni autorisation préalable, ni contrôle a posteriori. Des méthodes et pratiques des services de renseignements qui pourront ainsi agir en toute impunité. Et sans que jamais quiconque puisse avoir accès aux données le concernant, ne serait-ce que pour vérifier, ou corriger certaines "erreurs". La mise en place d’une telle infrastructure coûterait par ailleurs trois millions de livres, plus neuf millions, par an, pour la faire tourner, soit quelque chose comme un milliard de francs la première année.
Et les droits de l’homme ?
Condamné ce week-end par Elizabeth France, directrice de l’équivalent britannique de la CNIL, ce projet pourrait rencontrer de très sérieux problèmes : la Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit en effet que "Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation". Le document remis au gouvernement avoue d’ailleurs que le projet risque fort d’être très controversé, et qu’il pourrait aller à l’encontre des différentes conventions relatives aux droits de l’homme et à la protection des données personnelles. Des millions d’innocents verraient ainsi des informations confidentielles livrées aux services secrets... On n’ose imaginer ce qui arriverait au cas où une telle base de données serait utilisée pour d’autres fins que celles prévues par la loi, comme ce qui est arrivé récemment lorsqu’un policier niçois a commencé à farfouiller dans le STIC, ce fichier qui liste toutes les fois où un ressortissant français a eu affaire à la police.
Vers la société de surveillance
On connaissait la propension des services secrets de sa Majesté à la surveillance de leurs concitoyens. L’Angleterre sert ainsi de base arrière au système Echelon : elle accueille en effet, à Menwith Hill, la plus importante de toutes les stations d’écoute et d’interception du Big Brother anglo-saxon, et est considérée comme le cheval de Troie européen des ...tats-Unis en matière de renforcement des pouvoirs répressifs et de surveillance. Le pays s’est aussi lancé dans une course effrénée à l’installation de caméras de vidéosurveillance, qui seraient au nombre de 200 000 rien que pour les espaces publics. La loi permet également d’effectuer un prélèvement ADN sur toute personne arrêtée, quel que soit le motif de l’arrestation. La base de données, qui comporterait à ce jour plusieurs millions d’échantillons génétiques, devrait servir de modèle à celle bâtie pour archiver toutes les communications téléphoniques et électroniques. De là à imaginer qu’elles puissent être croisées... Au final, l’Angleterre apparaît aujourd’hui comme le pays démocratique le plus en pointe en matière de surveillance généralisée. Jack Straw, le ministre de l’Intérieur britannique, doit d’ailleurs de se voir décerner lundi 4 décembre le troisième Big Brother Awards de sa carrière. Le troisième en trois ans. Le plus cynique dans l’histoire, c’est le titre ("Looking to the future") et la conclusion du rapport des services de renseignement : "Il s’agit là de soutenir l’objectif du ministère de l’Intérieur de construire une société sûre, juste et tolérante." Le meilleur des mondes, en somme.