La Commission européenne a décidé, apparemment en contradiction avec une directive précédente, que les consommateurs pourraient poursuivre devant leurs propres tribunaux nationaux les e-marchands établis dans un autre pays de l’Union.
Vous vous êtes fait arnaquer par un site portugais ? Vous vous estimez victime d’une publicité mensongère d’un e-marchand allemand ? Vous allez pouvoir porter plainte devant un tribunal français. C’est du moins l’objectif d’un règlement intitulé Bruxelles I, passé par la Commission européenne le 30 novembre, dans le cadre de la révision de l’antique Convention de Bruxelles (1968) sur le règlement des conflits civils et commerciaux.
Ledit règlement ne précise pas pour autant quelle loi va s’appliquer. A priori, celle du pays où est implanté le tribunal, donc celle du pays du consommateur floué. Mais rien n’est sûr. Une directive européenne sur le commerce électronique prévoit exactement le contraire : selon ce texte, c’est la loi du pays du vendeur qui s’applique. Et donc, pourrait-on penser, le cas rentre dans la juridcition des tribunaux du pays du vendeur ! Cette directive est déjà en cours d’intégration dans les législations nationales des ...tats membres, alors que le nouveau règlement ne devrait entrer en vigueur qu’à partir de mars 2002.
Coup de massue pour les PME
Le délai est à peine suffisant. En effet, les sites marchands vont devoir réviser leurs conditions commerciales, afin de ne contrevenir à aucune des quinze législations européennes. Et la protection du consommateur ratisse large : réglementation de la publicité, des moyens de paiement, des possibilités de remboursement, des données... Les juristes vont avoir du boulot. Et les PME, quelques difficultés à boucler leur budget juridique... C’est d’ailleurs ce qui provoque l’émoi du bizness, qui aurait naturellement préféré continuer sur la lancée de la directive. Il est peu probable qu’un plaignant français s’ennuie à saisir un tribunal allemand, fasse traduire toutes ses pièces à conviction, engage un avocat local et un interprète, puis fasse le siège à Berlin. Avec la directive, les entreprises ont la paix.
Pas dans la dentelle
D’autres critiques, plus mesurées, émanent des négociateurs de la convention de La Haye, qui travaillent actuellement à une charte mondiale sur les conflits internationaux de compétence juridique. Ce texte qui doit être signé l’année prochaine prévoit que le consommateur s’adresse au tribunal de son pays seulement lorsque ce pays est spécifiquement visé par le site marchand. Par exemple, si le vendeur allemand monte une page en français, alors la France est dans sa cible. Mais Bruxelles I ne prévoit même pas cette réserve. Un site germanophone peut être jugé à Paris. C’est aller un peu vite en besogne, protestent les membres du forum de La Haye...
La Commission est-elle aussi cynique que le disent les entreprises ? Ou naïve au point de croire que ce Bruxelles I va redonner confiance à l’internaute pour effectuer ses achats en ligne ? Elle est surtout, semble-t-il, bien embêtée. Pour une seule raison : il existe toujours quinze réglementations commerciales différentes en Europe, au bout de quinze ans d’"harmonisation" et de "marché unique".