Les employés du leader mondial de la vente en ligne ont créer un embryon de syndicat, day2@Amazon.com. Dans la bataille qui les oppose à une direction hostile, les organisateurs ont élargi leur action à la France et à l’Europe. Patrick Moran, porte-parole du Prewitt Organizing Fund, Marie-Thérèse Deleplace et Luc Lecornu, membres du secrétariat fédéral du syndicat français SUD, livrent leurs récations.
Transfert - Où en est l’avancée syndicale chez Amazon ?
Patrick Moran - Cela suit son cours. Il y a des réunions régulières de sensibilisation des employés dans les 7 entrepôts d’Amazon aux ...tats-Unis. Le mouvement est déjà bien implanté dans 3 de ces lieux de travail, les autres doivent suivre. De son côté, l’organisation syndicale Washtech fait circuler sa pétition et continue son action spécifique dans le service client de Seattle. En Europe, je retourne aujourd’hui 28 novembre en Allemagne, dans l’entrepôt d’Amazon où j’étais allé la semaine dernière. Grâce à des membres du syndicat HBV, implanté à Amazon, je vais assister à une réunion entre les employés et la direction. Jeudi et vendredi, je me rends dans les entrepôts d’Amazon Angleterre, situés au nord de Londres pour nouer des premiers contacts avec des syndicats locaux. Nous organiserons éventuellement un tractage sur le lieu de travail.
Comment est né le Prewitt Organizing Fund ?
P. M. - C’est une organisation indépendante, née il y a 6 mois, à l’initiative d’un groupe d’organisateurs syndicaux en affinité : nous voulons tous aider les employés de l’e-commerce à améliorer leurs conditions de travail, leurs salaires et leur protection sociale. Notre premier pas est de rendre ces enjeux publics et d’attirer l’attention. Nous sommes financés par des syndicats, des fondations et, surtout, des individus qui font des donations. Le principal de nos ressources vient du bénévolat. Amazon est notre premier projet. Nous avons une soixantaine de personnes mobilisées sur cette campagne aux ...tats-Unis, plus un permanent en Allemagne.
Pour mener une action syndicale, quelles sont les différences entre la nouvelle économie et les secteurs traditionnels ?
Luc Lecornu - La nouvelle économie a un développement beaucoup plus rapide et on y trouve une idéologie du type : "On est prêt à travailler 50 à 60 heures par semaine, ca amènera la réussite personnelle." Cette mentalité exclut de fait toute préoccupation collective et toute recherche de garantie. En gros, c’est de l’individualisme forcené.
Marie-Thérèse Deleplace - Au début, les gens qui montent des start-ups se considèrent comme des créateurs et ont le sentiment de pouvoir travailler hors des réglementations. À mesure que ces entreprises prendront de l’assise et s’installeront, elles seront obligées de se conformer progressivement aux usages. Mais cela ne se fera pas tout seul. Par exemple, la direction d’Amazon France à annoncé qu’elle allait créer un comité d’entreprise mais qu’elle avait encore légalement un an de délai à partir de la cinquantième embauche. Rien ne se fait donc spontanément. D’une manière générale, il va falloir pousser pour rattraper le retard.
P. M. - La différence principale est que la nouvelle économie n’a ni limites ni frontières. Il faut donc l’aborder à l’échelle mondiale plutôt que locale. Elle se déplace également très vite et cherchera à profiter des régions plus faciles à dominer ou à exploiter. Amazon vient d’ouvrir un centre d’appel en Inde, qui sert des clients américains. Si ces entreprises vont dans ces pays, c’est naturellement pour profiter de la quasi-absence de droit du travail. Je trouve cela révoltant. Cela souligne la nécessité de standards de protection internationaux. Si le capital a la liberté de circuler où bon lui semble, les salariés devraient pouvoir faire la même chose en se regroupant pour se défendre.
Face à l’internationalisation des entreprises, quelles réponses apportent les syndicats ?
M.-T. D. - Dans le communiqué que nous avons diffusé après le tractage de l’entrepôt d’Amazon France, nous revendiquions un droit pour les salariés d’une même entreprise de se regrouper, quelque soit le pays dans lequel ils sont employés. L’exemple de France Télécom, que nous connaissons très bien à SUD Télécom, est intéressant. L’entreprise est maintenant présente partout en Europe et pratiquement dans le monde entier. Pourtant, il n’y a pas d’instance de groupe. Ces dernières sont des institutions paritaires entre la direction et les employés, qui permettent notamment aux syndicats locaux de se regrouper facilement sur des causes précises. Nous demandons en ce moment la mise en place d’une instance de groupe à France Télécom. La généralisation de ces institutions est primordiale et permettra de créer un tissu syndical avec des liens internationaux forts. Quant à l’harmonisation des revendications. Il est bien évidemment impossible de demander que les salariés France Télécom du Sénégal aient les mêmes revenus que ceux de la maison mère, mais ils savent bien mener des luttes pour améliorer leur conditions.
L. L. - Le monde syndical a un retard énorme sur les entreprises pour ce qui est des actions convergentes et de l’internationalisation, mais c’est aussi pour cela que nous avons accepté avec joie de travailler avec le Prewitt Organizing Fund sur Amazon.
Dans la nouvelle économie, comment préserver les acquis et espérer les étendre aux Etats-Unis, leader dans le domaine ?
L. L. - En plus des actions internationales au sein des entreprises, il faut élargir le débat. C’est pour cela que SUD participe au mouvement de lutte contre la mondialisation, l’OMC, le FMI et la Banque Mondiale. Nous sommes également actifs dans le collectif Attac (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens). S’il n’y pas de prise de conscience et de mouvement politique au sens noble, on n’y arrivera pas.
M.-T. D. - Nous nous investissons pour cela dans des regroupements larges comme ceux de Seattle, Prague, Séoul, Nice dans une semaine ou Porto Alegre, en janvier 2001. Ce qui permet également à SUD, une fédération spécifique aux PTT à l’origine, d’être connue internationalement. C’est d’ailleurs comme cela que Patrick Moran nous a contacté.
P. M. - Je suis tout à fait d’accord. J’étais à Washington pour une manifestation contre la Banque Mondiale, en avril. Nous sommes des petits poissons, les entreprises sont de grands requins blancs. Mais si nous sommes assez nombreux... Les grands groupes ont des instances pour se rencontrer et déterminer une partie de notre futur. Pourquoi les salariés n’auraient-ils pas leur mot à dire ?
Mis à part Amazon, quelle est votre action dans la nouvelle économie ?
L. L. - Bien que l’on nous taxe souvent d’archaïsme, nous nous tournons naturellement vers ce secteur. Nous nous sommes posé la question, il y a un an, lors du dernier congrès de SUD, dont les statuts avaient été pensés dans le cadre de la Poste et de France Telecom. Au vu du tournant Internet pris par France Telecom et de la dérégulation en cours dans le secteur des colis postaux, nous avons voté l’élargissement de notre domaine d’intervention. SUD couvre donc aujourd’hui toutes les activités d’expédition de colis et de plis et le secteur de la communication, qui inclut Internet et une bonne part des nouvelles technologies. Le cas Amazon est donc une heureuse surprise, exactement à la croisée des chemins entre ces deux domaines.
M.-T. D. - La nouvelle position théorique adoptée au congrès n’est bien sûr pas un coup de baguette magique. Au quotidien, l’essentiel des équipes départementales est encore centré sur notre ancien cœur de métier. Nous devons maintenant adapter nos méthodes de travail. Ce matin, lors de notre comité fédéral, la secrétaire générale, Joëlle Charuel, a pointé l’initiative Amazon comme un exemple concret à suivre, pour faire prendre conscience à tous de nos nouvelles responsabilités. Cette action est un test, un symbole. C’est maintenant au tour des sections SUD des Yvelines et du Loiret de pénétrer Amazon en vue de la constitution du comité du comité d’entreprise annoncée par la direction française pour l’année prochaine. Nous élargissons notre action petit à petit.
P. M. - Amazon est notre premier projet. L’objectif est avant tout de porter les problèmes à l’attention du public. Nous voulons également montrer que l’enjeu est international, voire mondial. Nous avons choisi de nous spécialiser dans l’e-commerce parce que c’est une forme de nouvelle révolution industrielle qui est en train de changer beaucoup des processus de travail. Il faut fixer les standards de conditions de travail maintenant, alors que le secteur est encore naissant. Sinon, les entreprises le feront à notre place et il sera trop tard.