Yahoo ! : un jugement, pas une affaire...
La condamnation du site d’enchères américain par un juge français ne déchaîne guère les passions. La presse internationale demeure très mesurée.
Sur fond de croix gammées et autres tristes reliques vert-de-gris, le bras de fer qui oppose le droit français au site d’enchères du Yahoo ! nord-américain - et vient de consacrer la victoire temporaire du premier sur le second - ne suscite guère de prises de positions. Hormis les vrais intéressés, il va sans dire, qu’ils soient acteurs, témoins de moralité, ou parties prenantes autoproclamées.
L’association IRIS (Imaginons un réseau internet solidaire) adopte - on pouvait s’y attendre - un point de vue critique sans concession : "Loin d’obliger la société commerciale américaine (Yahoo !) à se confronter à "une exigence éthique et morale que partagent toutes les sociétés démocratiques", selon les propos du juge Jean-Jacques Gomez, (...) ce jugement ne fait que renforcer l’hypocrisie d’une société qui refuse de penser les fondements d’une communauté universelle, et préfère les réponses superficielles inopérantes (...)." Pourtant, "Iris n’a jamais fait preuve d’aucune complaisance vis à vis des racistes et des négationnistes, et (...) a toujours affirmé son rejet d’une prétendue liberté d’expression qui ferait fi de la responsabilité de chacun dans la communauté universelle (...)". Puis, elle lance ce commandement de la démocratie : "On ne lutte pas contre l’indignité des racistes et des négationnistes en utilisant leurs méthodes."
Escalade du conflit
Du côté des grands médias, beaucoup plus de distanciation. On relaie le travail des agences, sans plus : "Les experts ont dit que tenter d’interdire tous les sites racistes à tous les usagers français d’Internet serait impossible." À peine CNN ajoute-t-elle sa sauce à une dépêche Reuters, comme une cuillérée d’huile d’olive personnalise des brocolis surgelés. Pour The Standard, par la bouche de Jean-Claude Patin, du site de renseignements juridiques en ligne Juritel, cette affaire, soulevant "le problème des différences culturelles et des souverainetés nationales", annonce d’autres conflits de nature transfrontalière.
L’Association américaine de la technologie de l’information (ITAA) s’insurge : selon son président, Harris Miller, il s’agit ici d’un "précédent dangereux" pour les gouvernements nationaux - comme Pékin, qui a déjà pris des mesures coercitives à l’égard de ses internautes. Une info relayée par Yahoo ! Actualités... Sans porter de jugement direct, Red Herring évoque les dommages dont pâtira, suite à l’affaire, le "commerce électronique global" : la décision de justice "pourra prendre valeur de précédent, et encourager les législateurs d’autres pays à imposer leurs propres restrictions sur le nouveau média", rappelant au passage que pour Vinton Cerf (co-papa de l’Internet Protocol et expert cité par le tribunal) "le filtrage des utilisateurs désacraliserait la notion de village global". Red Herring évoque également une possible escalade du conflit jusqu’aux hauteurs de la diplomatie internationale, comme ce fut le cas, voici une petite dizaine d’années, lorsque la France imposa le contingentement des œuvres artistiques d’importation, au nom de l’ "exception culturelle". Par ailleurs, Red Herring n’hésite pas à faire le lien entre la décision de la justice française et la baisse du titre Yahoo ! au Nasdaq.
Accent tonique sur le "o"...
Sous un titre plus alarmiste - "selon certains, la décision de justice française sur Yahoo ! menace de décourager les investissements en Europe" - le Wall Street Journal, rappelle néanmoins que la médaille a son revers, et relate les propos tenus en septembre par le commissaire européen David Byrne : "À l’heure actuelle, les consommateurs des ...tats-Unis peuvent poursuivre les entreprises de l’Union européenne qui contreviennent aux lois américaines sur la consommation." Allusion, par citation interposée, à de possibles représailles ? Mais tout n’est pas noir en ce monde. Le New York Times note que dans ses attendus, le juge Jean-Jacques Gomez relève que Yahoo ! refuse de mettre en vente des drogues, des animaux vivants et des organes humains... et que, par ailleurs, ses filtres sont assez fins pour lui permettre d’afficher à son public français des bannières publicitaires rédigées dans sa langue.
Sous les latitudes latines du monde, La Vanguardia Digital est sans doute le seul quotidien espagnol à émettre des critiques sur la décision : "Une décision sans précédent : un juge tente d’imposer une loi nationale au monde global d’Internet (...). Cette décision revêt une grande importance : une administration d’...tat condamne un service internet offert depuis une autre pays (...). La décision du juge Jean-Jacques Gomez a été accueillie à la bourse américaine par une chute de 5,4% des actions de Yahoo !" Preuve de sa distanciation nationale, le média précise que Jean-Jacques Gomez n’est pas espagnol et orthographie son patronyme à la française, sans accent tonique sur le "o"...
Les idiots du village global
Un mot de la fin ? On peut le laisser à la logique la plus pure et aux pages du premier intéressé. Reprise par Yahoo !, une dépêche Reuters affirme sans ciller : "Voici un exemple classique de la façon dont des lois écrites pour un monde physique ne sont pas toujours traduisibles pour un Internet sans frontières." Ça méritait d’être dit. On peut aussi, à la suite de la revue de presse du Standard, évoquer le Wall Street Journal Interactif selon lequel un groupe français de défense des droits de l’homme a déjà choisi sa prochaine cible : Amazon. Mais aussi que, comme le dit si bien le site Zipiz qui brocarde le petit monde du Net, "dans le village global, le problème, ce sont les idiots du village"...