...cologistes ou anti-globalisation, les militants se rassemblent, grâce au Web,
en un réseau mondial capable de converger pour combattre « l’Empire »
du libéralisme. Mais la révolution ne se fait pas encore par e-mail.
"Notre rôle c'est l'info pour l'action: Le Net rznsigne les activistes qui veulenttracter, organiser des sit-in ou détruire une parcelle d'OGM." Tom Dyson, G-M InfoDR |
C’est une carte de l’Angleterre, découpée en 14 régions cliquables. En apparence, un banal croquis. En fait, une arme de guerre pour les militants anglais anti-OGM (organismes génétiquement modifiés). Car cette carte, disponible sur le site de GM-Info, constitue une banque de données de tous les sites d’expérimentation, les bureaux, les usines, les lieux de stockage de l’industrie des OGM. Cliquez par exemple sur West Midlands, autour de Birmingham, et vous obtiendrez : 1- la localisation d’un champ où Monsanto (poids lourd des OGM) fait par exemple des essais de betteraves transgéniques,
2- la référence de la semence testée, 3- de l’information « indépendante » sur le sujet... Bref, « tout ce dont vous avez besoin pour combattre la bête biotech », comme l’indique GM-Info sur sa page d’accueil. Tom Dyson, l’ingénieur qui a développé le site, explique : « Notre rôle, c’est l’info pour l’action. La base renseigne les activistes qui veulent tracter devant une filiale, bloquer un entrepôt ou détruire un champ test. » Depuis leurs débuts en 1997, ces derniers ont mené en Angleterre une soixantaine de « décontaminations », publiques ou clandestines.
La résistance se globalise
Les écolos français n’en sont pas encore là. Mais le mouvement s’amorce : l’association Terre Sacrée, créée en février 1999, a mis en ligne la liste brute de tous les champs d’expérimentation. Quelle que soit la cause qu’ils soutiennent, de plus en plus de militants utilisent les armes électroniques. La webcam de Greenpeace (lire l’encadré p. 45), installée à La Hague pour protester contre les rejets radioactifs, a constitué un excellent coup médiatique. Le WWF (World Wildlife Fund) a pensé plus grand public en montant une pétition en ligne contre le réchauffement de la planète : d’ici novembre, 10 millions de mails devraient être envoyés aux politiques de tous pays...
Face à des enjeux globaux comme l’avenir de la planète ou la « marchandisation du monde », les militants électroniques se sont remis à croire à des réponses globales. Signe de cette évolution : les grandes réunions internationales très médiatisées - du type Convention des Républicains américains, Jeux olympiques de Sydney ou 55e sommet du FMI à Prague - sont autant d’occasions de harceler « l’Empire » capitaliste en contre-manifestant. Les contestataires sont issus d’organisations différentes, aux causes variées ? La lutte contre la mondialisation les soude et le Web les rassemble. « Nous voulons répondre à la globalisation des marchés par la globalisation de la résistance », martèle Kevin Danaher, leader charismatique de l’ONG californienne Global Exchange. À la tête d’une équipe de 40 personnes, ce cinquantenaire vit une seconde jeunesse depuis le sommet de l’OMC à Seattle, en novembre 1999.
Sur tous les fronts
Et Kevin Danaher l’assure : « Internet joue un rôle crucial dans le renouveau de la résistance. Nous avons eu jusqu’à 20 000 clics par jour et beaucoup de gens téléchargent nos argumentaires pour imprimer leurs propres tracts. Il faut se rappeler que nos troupes comptent beaucoup d’étudiants, qui utilisent les nouvelles technologies de façon très créative. » Danaher et ses troupes ont eux aussi appris à collaborer : « Nous travaillons avec les militants de S26, Tao, protest.net, l’Action globale des peuples, Indymedia ou le Direct Action Network. » Tous mettent en commun les ressources, copiant, traduisant, créant des liens, attaquant sur tous les fronts. Sur le site de préparation du sommet de Prague, le savoir-faire et le ciment international sont palpables : 96 organisations, 41 pays et 17 listes de diffusion. Pour Kevin Danaher, la mobilisation commence à peine à se cristalliser : « L’organisation en réseau, c’est l’échec du modèle de résistance léniniste, fondée sur un parti d’avant-garde centralisé renversant le pouvoir dans un pays. Notre mouvement est horizontal, non-hiérarchique et fluide. Il ressemble à une roue, avec des rayons reliés au centre et entre eux. »
Ve Internationale
Informelle et foisonnante, la nébuleuse résistante pourrait bientôt se doter d’une structure permanente. « Parti global des citoyens, Ve Internationale, appelez-la comme vous voulez, ironise Danaher. L’important est de donner une forme permanente au mouvement né à Seattle. Nous sommes déjà d’accord pour dire que sa présidence sera tournante et temporaire. Pour le reste, nous avons prévu d’en discuter lors du Sommet social prévu à Porto Allegre, au Brésil, fin janvier 2001. »
Car il est des sujets que l’on ne peut trancher par mail. En Angleterre, le milieu activiste l’a bien compris : tous les mois ses membres se rencontrent chez l’un ou chez l’autre. Le London Underground ou la Riotous Assembly de Manchester rassemblent ainsi une trentaine de groupes. Pour Burt Hampton, qui y représente le collectif pro-squat Reclaim the Streets, « tout mouvement qui s’attaque sérieusement aux inégalités ne peut se passer de la chaleur des rencontres humaines et de l’énergie des actions dans la rue. » Même souci pour les militants français. Comme le souligne Laurent Jesover, responsable Internet d’ATTAC (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens, lire son interview p. 47), « l’entrelacement des deux mondes, réel et virtuel » n’est pas toujours évident à maintenir. « Les militants non-connectés sont souvent frustrés », remarque-t-il. Alors, ATTAC cherche à tisser le lien : à Marseille, l’association a mis à la disposition des adhérents un local avec des machines et à Lyon, c’est une chaîne téléphonique qui comble les lacunes du Net.
Recrutement dans la rue
Tous en sont conscients, le Net inaugure de nouvelles formes de résistance, mais ne remplace en rien l’action dans le monde réel. Très impliqués dans l’organisation du contre-sommet de Prague, les militants de Linksrucke ont doublé leur action sur le Web d’une distribution de tracts, chaque samedi, dans les rues piétonnes de Bonn la bourgeoise, en Allemagne. Winnie, 23 ans, avoue qu’il est difficile d’être responsable Internet de la section locale. « Nous recevons au mieux une dizaine de mails par mois. Le recrutement pour Prague se fait dans la rue. » Mêmes réserves en France pour Maloka et le Réseau Sans Titre, dont la caravane anti-capitaliste sillonnera l’Europe en s’arrêtant à Prague. Récemment expulsé de son squat dijonnais, le collectif libertaire Maloka communique sur Internet via la mailing-list A-Infos, un fil d’actu hébergé au Canada. Un militant s’explique : « Pour l’organisation de la caravane, nous nous appuyons surtout sur le réseau physique des squats et les milieux anarchistes français. »
La résistance électronique n’est pas encore autonome et doit éviter les écueils de la fracture numérique. Burt Hampton, un responsable de Reclaim The Streets et du réseau Action globale des peuples, dit en avoir conscience : « Nous citons souvent Noam Chomsky, qui rappelle que la majorité des gens dans le monde n’a jamais utilisé de téléphone. » Né en 1995, le collectif anglais compte des centaines de groupes dans le monde, mais Burton avertit : « Pour l’instant, tout le monde répète qu’Internet est un réseau global, en fait, il s’agit essentiellement d’un réseau occidental, donc d’une action occidentale. » Joyce Hambling, de Genetic Engineering Network, réseau anglais anti-OGM, est confrontée au même problème. Régulièrement, elle envoie des lettres en Afrique, mais pas de mails : sans électricité, pas de Net. Elle rêve aussi à un esperanto de la résistance : « L’hégémonie de l’anglais sur le Réseau est une chose déplorable. » Quoi qu’en disent les militants les plus optimistes, le grand soir numérique n’est pas pour demain. Peut-être pour après-demain.
Bientôt
une web-TV pour Greenpeace
|
Interview
de Bruno Rebelle, président de Greenpeace France
Internet vous a-t-il amené des militants ?
Oui, près de 500 personnes nous ont rejoints par le Web, car il est
possible d’adhérer à Greenpeace directement sur le site.
Ces nouvelles adhésions font suite à deux campagnes en ligne
qui ont connu un vif succès : les pétitions contre Total après
le naufrage de l’Erika et la webcam immergée à la sortie
du tuyau de la Cogema, à la Hague en juin 2000, pour protester contre
les rejets radioactifs. On n’y voyait pas grand-chose en fait, juste
un flux sortant d’un filtre qui se déversait dans la Manche.
La webcam a eu le mérite de mettre des images sur une réalité
assez abstraite et de les répandre de manière très
peu coûteuse aux quatre coins du monde, en temps réel. C’est
ça la force du Net.
Vous avez de plus vastes projets de développement sur le Web ?
Actuellement, nous cherchons un webmaster dont le rôle serait de réfléchir
à une application Internet pour chacune de nos campagnes. Nous essayons
d’associer une démarche en ligne à toutes nos actions
sur le terrain. Par ailleurs, nous planchons sur un projet : une web-TV
pour Greenpeace international. Elle rendrait compte, en direct et en continu,
de toutes les actions menées par l’association autour du monde.
Depuis 30 ans, nous nous appuyons beaucoup sur les images pour mobiliser
le public, c’est notre méthode. Internet est donc la continuation
de ce que nous avons toujours fait.
Le Net a-t-il changé votre manière de militer ?
Je crois qu’il ne faut pas sacraliser le Web au-delà de
ce qu’il est capable de faire. Ce ne sont pas les images d’une
webcam qui font une campagne, mais des pressions politiques, des actions
de protestation, une présence sur le terrain, etc. Une pétition
en ligne n’a pas du tout le même impact qu’une pétition
classique. Vous dites à un fonctionnaire d’un ministère
: « Nous avons eu 25 000 clics. » Il répond : «
Ah bon ? D’accord, merci, au revoir. » Pour lui, ça reste
virtuel. Dix kilos de papier sur ses pieds seront toujours plus lourds !
Nous tâchons de ne jamais l’oublier.
Propos recueillis par Arnaud Gonzague
www.greenpeace.fr |