Mails sécurisés, sites miroirs, logiciels de cryptage... Face à la répression, les hébergeurs « éthiques » organisent la résistance internationale.
Adrian Harris le responsable de Greenet© Richard Pak |
Mercredi 26 juillet 2000. Déception et grincements de dents chez Greenet, le plus vieil hébergeur alternatif anglais. La Rip Bill vient de passer. Cette loi prévoit l’installation de boîtes noires chez les fournisseurs d’accès britanniques. Le but est d’enregistrer le trafic Internet (mail, Web, IRC, chat, etc.), afin que les services de renseignement puissent détecter tout élément ressemblant à un « crime sérieux ». Selon Adrian Harris, responsable de Greenet, ce texte liberticide pourrait remettre en cause l’indépendance des 300 sites, 1 500 comptes e-mail et de la centaine de listes de diffusion hébergés par le service alternatif. Il a décidé de contre-attaquer : « Nous suggérons l’utilisation de Freedom, un logiciel pour surfer et envoyer des mails anonymement. Mais nous attendons surtout que les services de renseignement déclenchent une action en justice contre un site. Un procès nous permettrait de démontrer l’absurdité de ce type de loi devant la cour européenne des droits de l’Homme. »
Greenet va encore plus loin : puisque dans d’autres pays, des lois comparables à la Rip Bill se préparent, la résistance doit s’organiser au niveau international. L’Association for Progressive Communications (APC), fondée en 1990, fédère des hébergeurs « éthiques » dans 25 pays. Elle constitue un excellent point de départ. Forts de leur expérience, plusieurs cadres de Greenet ont soutenu, en août dernier, les opposants à la loi sur les écoutes au Japon. Adrian Harris l’explique : « La notion de Réseau est essentielle. Quand l’un de nos sites fait l’objet de pressions, nous lançons le Rapid Response Network : les pages menacées sont reproduites sur des sites miroirs dans le monde entier. » Courant août, l’APC a secouru le site coréen Jinbo Net, qui protestait contre des licenciements chez Posco, une multinationale sidérurgique, et subissait des menaces : dix sites miroirs dans huit pays différents, une victoire éclair. L’APC pourrait aussi aider le plus vieux et plus fiable hébergeur hollandais, le XS4ALL (« Accès/Excès pour tous »). Connu pour relayer B92, la seule radio libre de Belgrade, XS4ALL est confronté à une loi qui prévoit d’installer des boîtes noires à partir d’avril 2001. Sjoera Nas, son porte-parole, souligne : « Renforcer les liens internationaux entre les hébergeurs est la seule façon de garantir une réelle liberté aux 10 000 sites que nous hébergeons. Mais notre plus grand espoir, c’est Publius, un vaste projet d’hébergement anonyme. »
Ce programme américain est développé dans les labos d’AT&T, géant américain des télécoms. Pour Lorrie Cranor, responsable des recherches, « Publius permet de combattre toute forme de censure. Il découpe et crypte toutes les données d’un site, puis les répartit sur neuf serveurs différents. Ainsi, les pages Web sont quasi intouchables et leur auteur protégé des représailles ». La phase de test s’achèvera le 6 octobre. Confiante, Lorrie Cranor affirme qu’AT&T ne freinera pas Publius comme AOL l’avait fait pour le serveur d’échange de fichiers Gnutella. « Le code-source de Publius est déjà téléchargeable sur le site. Ma direction m’a assuré que le système restera gratuit pour tous les utilisateurs non-commerciaux. » Les hébergeurs alternatifs pourraient tenir là leur plus belle revanche.