Les cafouillages des journaux et télévisions lors de la soirée électorale ont une cause : la réduction des sources d’information destinée à rationnaliser les coûts.
"Ce n’est pas un œuf qui s’est écrasé sur notre figure. C’est une omelette." Citée par le Washington Post, la remarque de Tom Brokaw, une star de la chaîne NBC, illustre bien le désarroi des médias américains, après les spectaculaires bafouillages divinatoires - Gore président, puis Bush président, et, enfin, plus personne président... - auxquels ils se sont livrés dans la nuit de mardi à mercredi. Ce naufrage a un trait saillant : son unanimité. Car c’est d’une seule voix que les networks de télévision, ABC, CBS, NBC et CNN, plus l’agence Associated Press, ont claironné les mêmes prophéties pour les démentir en chœur un peu plus tard. Raison de la mascarade ? Le vieux souci de la réduction des coûts. Son vecteur ? Le VNS, le Voter News Service.
Le VNS est un outil prévisionnel financé en pool par les grands médias. Ceux-ci l’ont lancé en 1990 afin d’économiser sur les millions de dollars que coûte, lors d’une élection nationale, la collecte et le traitement d’informations en sortie des urnes. Dans les années 1980, la course à la primeur des résultats anticipés s’était traduite par un gonflement budgétaire à la limite du supportable. Le VSN réglait le problème. Mais avec cette structure prévisionnelle unique, les télés et l’agence de presse ne se contentaient pas de limiter la casse financière. Elles se garantissaient des contradictions et des divergences d’interprétation, puisque toutes travaillaient à partir des mêmes données : "S’il y a une erreur dans le système, elle est commune à tous", remarque ainsi dans les pages du site d’information Inside.com un ancien responsable de l’un des networks. Or, il y a peu d’économies sans contrepartie et le système vient de le prouver de façon flagrante. Le VSN interdit toute possibilité de comparaison, comme c’était le cas lorsque chaque média usait de ses propres sources. "Dès sa création, (le VSN) a toujours suscité l’interrogation, poursuit le responsable interrogé par Inside Com. L’autre nuit, il s’est redressé et a mordu tout le monde aux fesses. "
Selon Tom Wolzien, ex-producteur exécutif aux infos de NBC, le pool VSN a permis à chacun de ses commanditaires de réaliser cette année une économie de cinq à dix millions de dollars. Il serait donc étonnant, pour l’instant, qu’il soit remis en cause. En quatre ans, les pires pataquès peuvent s’oublier. Dans l’intervalle, la gêne des médias reste grande. Au point que Dan Rather, figure de proue de CBS, se soit senti tenu, relate le Washington Post, de déclarer à ses téléspectateurs : "Si vous êtes dégoûtés de nous, franchement, je ne peux pas vous en vouloir."