Le tribunal correctionnel de Paris jugeait, jeudi 2 novembre, les responsables d’un laboratoire scientifique, accusés par un thésard d’avoir espionné son mail. L’étudiant a eu gain de cause.
Peggy Pierrot |
La décision fera jurisprudence. Trois responsables d’un laboratoire de l’...cole supérieure de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris (ESPCI) ont été reconnus coupables de "
violation de correspondance effectuée par voie de télécommunications" envers un étudiant. La 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné, jeudi 2 novembre, Hans Herrmann et Françoise Virieux à 10 000 francs d’amende, et Marc Fermigier à 5 000 francs d’amende pour avoir "
surveillé" le courrier électronique de Tareg Al Baho, étudiant koweïtien. Les trois responsables du laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes (PMMH) devront en outre verser solidairement 10 000 francs de dommages et intérêts, ainsi que 15 000 francs de frais de justice. Cet épilogue d’une histoire longue et complexe sur fond de dépit amoureux, contribue ainsi à renforcer le caractère privé dela correspondance par mails.
Courriers manipulés
D’après les responsables du laboratoire, Tareg Al Baho, étudiant en thèse, était tombé amoureux d’une camarade, Anne Tanguy, au point d’en avoir conçu une idée fixe. L’intéressé, lui, affirmera le contraire. Quoi qu’il en soit, en septembre 1996, tous deux se plaignent d’intrusions dans leur messagerie électronique, Anne Tanguy ayant remarqué le log-in de Tareg Al Baho dans le journal des connexions à son propre compte mail. Elle s’apercevra ensuite qu’on a aussi imité sa signature pour annuler la publication d’un article qu’elle avait adressé à une revue scientifique. L’étudiant koweïtien nie toute responsabilité. Constatant que la moitié des mails du labo concernent le compte de Tareg al Baho, les responsables décident de chercher des traces du faux dans l’abondante messagerie de l’étudiant. Sans succès. Mais ils découvrent un mail mettant en cause le laboratoire et apparemment destiné à la presse. Ils ferment alors le compte de Tareg Al Baho, qui ne fréquente déjà plus guère l’école. Celui-ci porte plainte pour violation du courrier électronique.
Mesure de sécurité
Devant le tribunal, les trois responsables du laboratoire ont reconnu avoir surveillé le courrier de l’étudiant, mais leurs avocats ont défendu le fait que les mails ne constituaient pas une correspondance privée, et que Tareg al Baho avait enfreint le règlement de l’école en utilisant son compte mail à des fins personnelles. Ils ont aussi présenté la surveillance de son compte comme une mesure de "sécurité" pour le réseau du labo. La présidente de la 17e chambre n’a pourtant retenu aucun de ces arguments. "
Contrairement à ce qu’affirment les prévenus, la sécurité du système informatique n’était pas mise en cause", mentionne le jugement. Par ailleurs, il n’est pas sûr que Tareg Al Baho ait été au courant de la nécessité d’utiliser le mail pour des motifs exclusivement professionnels. "En tout état de cause", affirme le tribunal, les responsables n’avaient pas à prendre connaissance du courrier. Il estime ainsi que le mail, même s’il n’était pas crypté, constitue bien une "correspondance privée".
Réponse "maladroite"
Hans Herrmann, directeur du laboratoire, était amer à la sortie de l’audience, s’estimant victime de la "perversité du système" puisque, responsable de ce qui passe par les machines, il a été condamné pour s’être livré au contrôle de l’une d’entre elles. Quant à Marc Fermigier, visiblement atteint par le jugement et las des procédures engagées par l’ancien étudiant, il se demandait s’il allait faire appel. Les responsables du labo donnent le sentiment d’avoir voulu aider Anne Tanguy, en proie aux assiduités de l’étudiant. Ce qui n’a pas totalement échappé au tribunal, qui écrit avoir fait une "application bienveillante de la loi pénale" compte tenu des "conflits de personnes, compliqués de phénomènes de fraude, auxquels les responsables ont tenté maladroitement de répondre". Modérés sur les peines, les juges ont voulu rester fermes sur les principes
Le
mail est un courrier comme un autre
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Les avocats
des responsables du laboratoire de l’ESPCI espéraient faire valoir que les
e-mails "ne peuvent bénéficier des règles de confidentialité qui s’attachent
à une correspondance postale" dans la mesure où ils ne sont pas cryptés,
où ils passent à découvert par des serveurs intermédiaires et doivent pouvoir
être contrôlés du fait des dommages qu’ils peuvent causer aux réseaux internes.
Extraits du jugement :
- "Le terme correspondance désigne toute relation par écrit existant
entre deux personnes identifiables, qu’il s’agisse de lettres, de messages
ou de plis fermés ou ouverts."
- "La messagerie électronique permet de transmettre un message écrit
d’une personne à une autre, de manière analogue au courrier."
- "Le message [électronique] revêt les caractéristiques suivantes :
- il est exclusivement destiné à une personne physique ou morale.
- il s’adresse à une personne individualisée, si son adresse est nominative,
ou déterminée, si son adresse est fonctionnelle (...)
- il est personnalisé en ce qu’il établit une relation entre l’expéditeur
et le récepteur (...)
Il en résulte que l’envoi de message électronique de personne à personne
constitue de la correspondance privée."
o"Peu importe que l’un des messages dont Tareg Al Baho a été destinataire
ait été ultérieurement publié dans la presse ou diffusé sur Internet, dès
lors qu’il lui avait été, au préalable, adressé personnellement, le caractère
privé, et donc confidentiel, de cette correspondance résultant de ce mode
d’envoi." |