Christine Maxwell, qui devrait devenir la présidente de l’Internet Society, nourrit de nouveaux projets d’entreprise sur Internet. Son défi : mettre toute la richesse et les connaissances du Réseau à la portée de tous.
Christine Maxwell se confond en excuses : elle doit passer un coup de fil urgent, au beau milieu de l’entretien. Assumer des responsabilités au sein du conseil d’administration de l’Internet Society ou ISOC, l’organisme mondial à travers lequel les internautes s’autogèrent, n’est pas une sinécure. L’active vice-présidente revient d’une réunion au Caire, se pose un instant à Paris, avant de regagner ses pénates aixoises où l’attendent ses enfants chéris et son astronome de mari. Quand elle se déplace, son imperméable aérien et son foulard en mousseline se déploient dans l’espace, jetant un brin de désordre dans les bureaux qu’elle traverse. Femme active certes, mais pas corsetée dans un tailleur strict. Ses tribulations sont entrelardées de conversations téléphoniques dans un anglais courant. Cette passante à la chevelure sombre et bouclée a la triple nationalité. Elle est française par sa mère. Son père était tchèque naturalisé britannique, si tant est qu’il faille retracer la biographie du magnat Robert Maxwell, seigneur de la presse Outre-Manche, jusqu’à son accident mortel en 1991. Enfin, ayant résidé vingt ans en Californie, la fille numéro 4 (sur neuf enfants) de la Maxwell family a pris la nationalité américaine. Trois ports d’attache, une enjambée au-dessus de l’Atlantique : une Net-prédisposition ?
“Je suis une architecte de l’information”
Au moins a-t-elle bénéficié d’une longueur d’avance. En 1982, mamzelle Maxwell acquiert une société de recherche documentaire, Information sur Demande. Quel est le marché des pneus usés en Corée ? Où se trouve le cerveau d’Einstein ? Voici les questions que posent les clients. Pour trouver les réponses, il n’existe pas encore de World Wide Web : “Nous n’avions que les bases de données en langage booléen du réseau Dialog, puis de Lexus Nexus, Questel, Dow Jones. Les experts qui s’en servaient étaient soit bibliothécaires, soit archivistes, parce que les procédures étaient complexes. Il fallait savoir encoder et posséder une expertise précise.” Un monde fermé et hermétique. La plupart de ces bases ne sont toujours pas disponibles en ligne, d’ailleurs. Au début des années 80, le Net commence à sortir des laboratoires d’informatique. Ce machin intrigue la dame : “J’ai cru que c’était une nouvelle base de données. Je me suis renseignée dans un livre. J’y ai trouvé une quantité de mots martiens comme Telnet, Gopher, mais les concepteurs n’avaient visiblement aucune idée de la façon dont on pouvait organiser l’information. Ça m’a donné l’idée de créer des pages jaunes du Net - lisibles par des humains !” Ainsi naquit Magellan, moteur de recherche historique, doublé d’un vrai guide du Net préhistorique sous forme papier (350 pages, trois rééditions chez MacMillan). Le logiciel est placé dès 1994 sur la page d’accueil de Netscape. Après concertation avec sa jumelle Isabelle, amoureuse des montagnes, Christine Maxwell a baptisé sa société McKinley, du nom du sommet le plus élevé de Californie. Très vite, le guide Internet a rencontré son public, que ce soit sous forme papier ou électronique. Elle n’en est pas peu fière. “J’ai pu diriger les ingénieurs parce que je ne suis pas ingénieur moi-même : je suis une architecte de l’information”, explique Christine, qui a étudié l’Amérique latine et la sociologie à la fac. “Le problème des ingénieurs du Net, des Excite et des AOL, c’est qu’ils ne viennent pas de l’édition. Ils ne comprennent pas ce qu’est l’excellence en la matière.” Alors que la fille de Maxwell est tombée dedans quand elle était petite.
L’organisation pour rester en tête
Le succès de Magellan s’est soldé par un rachat-écrabouillement de la société par son concurrent Excite, en 1993. “Ils n’ont même pas récupéré la technologie”, souligne l’entrepreneuse au regard perçant sous des paupières alanguies. De toute façon, plaide-t-elle, ce n’est jamais la technologie qui permet de rester en tête. C’est l’organisation. Or dans ce domaine, il y a encore fort à faire sur le Web. Christine Maxwell remet donc l’ouvrage sur le métier, en créant une start-up “avec une importante composante moteur de recherche”. Le projet, encore secret, ne manque pas d’ambition. “Les problèmes posés par Internet sont infiniment plus complexes qu’avant. Nous devons aller plusieurs générations au-delà de McKinley dans l’innovation. Aujourd’hui, il nous faut construire un système entier, capable de gérer les bannières de publicité, les objets numériques, la prise en charge des droits d’auteur, la valeur des sources d’information en ligne...” Un boulot de démiurge.
Présidentielle à l’ISOC
Christine Maxwell est pressentie comme la future présidente du conseil d’administration de l’Internet Society au niveau mondial. Cet organisme se donne pour mission d’assurer le plein développement, l’évolution et l’usage d’Internet pour le bénéfice de tous. À ne pas confondre avec le consortium W3, qui se concentre sur le devenir du Web et non sur l’ensemble du Réseau. L’ISOC est structurée de façon assez lâche, comme une fédération d’une soixantaine d’associations nationales (sauf le Chapitre “virtuel”, dirigé par Paul Soriano). Le Chapitre français est constitué en association loi 1901. Mais l’organisation parapluie n’a pas de statut juridique propre. Le renouvellement par tiers d’un board of trustees (conseil d’administration) mondial de 15 membres se déroule en plusieurs étapes. Fin 1999, un appel à candidatures a été lancé sur le Net. Dix personnes ont été présélectionnées en janvier 2000, pour leur compétence technique ou historique. Deux autres candidates se sont présentées parce qu’elles avaient réussi à récolter 1 % des voix au niveau mondial. Le vote final - électronique bien entendu - a commencé en avril et devait se clôturer en juin. Tous les adhérents de l’ISOC, environ 8 000 internautes, sont appelés à y participer. Cinq personnes entreront donc dans le board of trustees. La vénérable assemblée se choisira ensuite un chairman. En toute logique, la numéro deux du conseil d’administration, élue depuis six ans, devrait accéder au poste le plus élevé, car le président actuel, l’australien Jeff Huston, ne souhaite pas se représenter.