Geert Lovink, 40 ans, a créé la liste de diffusion NetTime, un des médias contributifs les plus vieux et les plus actifs du Réseau. Diffusée en 5 langues, elle compte 2000 abonnés dans une trentaine de pays. Auteur et consultant, Geert Lovink souligne que l’indépendance des médias doit aussi être économique.
Vous n’aimez pas parler de " médias indépendants "...
... En fait, je pense que ne phénomène n’existe pas encore. Il est trop tôt. Principalement parce qu’il n’y pas beaucoup d’argent qui circule et qui est investi sur le Réseau. Nous dépendons donc tous des sources de médias traditionnelles. Ce sont encore eux qui ont le plus d’argent. Il n’y a pas de journalisme et de recherche purement sur Internet. Tout ce qu’on voit, ce sont des gens qui ont mené des travaux dans des domaines comme l’écologie ou la mondialisation et qui utilisent maintenant l’Internet dans leurs recherches. Mais le Réseau n’est pas encore une vraie plateforme de publication. Le travail est devenu plus difficile. La pression qui pèse sur les journalistes freelances est plus forte. Il faut trouver plus d’argent, plus vite, donc on fait moins de recherche. Bien qu’il y ait en apparence plus de moyens pour mener des enquêtes. Je pense que la situation était meilleure il y a dix ou quinze ans. Mais le fait que des travaux existant soient mis à disposition sur le Réseau reste une très bonne chose.
La valeur d’Internet est proportionnelle à celle des infos qui s’y trouvent. Il faut donc trouver des solutions positives, ce qui veut dire inventer des modèles économiques pour les médias indépendants. On pense aux micropaiements, aux économies de cadeau ou de troc, au paiement par carte mais personne n’a la bonne formule.
Vous avez réfléchi personnellement au système des micropaiements...
... Oui, c’est une idée qui circule depuis 10 ans mais la question n’est pas encore tranchée. Nous entrons dans la période où nous allons voir apparaître des tests dans ce domaine. Les internautes pourraient par exemple payer 5 cents par site visité ou par fichier téléchargé. Cela pourrait permettre de sortir de systèmes comme Napster, qui est une belle blague mais n’est pas réellement viable. L’enjeu pour les micropaiements, c’est d’ouvrir d’autres possibilités que le paiement par carte de crédit. La meilleure solution serait un système de valeur propre à Internet, qui ne puisse pas sortir du Réseau.
Vous pensez qu’il faut sortir de l’ère du tout gratuit ?
Oui, l’ère du gratuit vient du mouvement des techno-libertaires. Quand on a déjà des revenus et qu’on est employé du secteur technologique, la situation est faussée. Il faut absolument se poser la question : dans quel circonstances le contenu est-il produit ? J’ai créé la liste de diffusion NetTime selon un modèle gratuit né au début des années 90 : le " collaborate text filtering " (" filtrage de texte collectif ", NDLR). Je pense que sur le long terme, j’ai souffert, et le contenu avec, de ne pas toucher de revenus de NetTime. Ceux qui disent " Nous ne tenons pas à faire de l’argent " sont dans un faux débat. Si on ne le rend pas viable, le contenu meurt. La recette du bon contenu est à base de confiance, d’informations de qualité et de temps passé. Aujourd’hui, la masse de déchets et de sites d’entreprises augmente considérablement. Il y a commercialisation et institutionnalisation de l’Internet. L’information indépendante peut être là mais si seuls les connaisseurs parviennent à la trouver...
Oui. Je ne pense pas qu’ils vont mourir mais je crois qu’ils seront relativement moins visibles, marginalisés. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui mais cela le sera dans quelques années.
Quels nouveaux modèles voyez-vous pour les médias alternatifs ?
L’opensource en est un. Cela n’a rien à voir avec du vol, c’est un système avec une éthique très solide. Il faut qu’il aille plus loin qu’un simple environnement informatique. Il faut lancer d’autres Linux dans d’autres domaines. C’est ce qui a commencé avec les médias opensource (voir itw Silvère Tajan et Clément Laberge). Pour les médias en général, vois deux utilisations principales de l’Internet. Un usage " traditionnel ", avec une forte vision de long terme, pour les archives et les bases de données. Et un usage " tactique " pour coller à la réalité. Pour l’actualité, les téléphones de troisième génération et les caméras portatives sont très prometteuses. Aujourd’hui, les webcams sont statiques et suivent plus une logique de surveillance que de diffusion en direct. Des caméras miniature portables seraient des outils intéressants pour les activistes, les journalistes et les artistes.