Lors de la manifestation contre le sommet de la Banque mondiale et du FMI, des incidents ont opposé mardi 26 septembre les militants anti-mondialisation aux forces de l’ordre. Grâce à la logistique d’Indymedia, les journalistes indépendants ont pu couvrir l’évènement. Et donner leur version des faits...
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Il est 16 h 15 et Prague est sous tension. La manifestation arrive en vue du Palais des congrès où se déroule le sommet de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Venus de toute l’Europe mais aussi d’Amérique, les milliers de militants anti-mondialisation peuvent entrevoir les délégués des institutions financières internationales qui n’osent pas sortir rejoindre les voitures qui les attendent. Entre les deux, un impressionnant déploiement de forces de l’ordre, en tenues de combat, appuyées de véhicules blindés et de camions équipés de canons à eau. Sans doute affolé par le souvenir des évènements de Seattle ou de Washington, le gouvernement tchèque a pris la menace au sérieux. Au total, 11 000 policiers auraient été réquisitionnés. Les écoles ont été fermées et la ville s’est vidée d’une partie de ses habitants, à la suite des avertissements alarmants des autorités et des médias tchèques, qui ont assimilé les manifestants à de dangereux anticapitalistes incontrôlables. Des fichiers d’activistes indésirables auraient d’ailleurs été transmis par les autorités de certains pays aux forces de l’ordre tchèques, en vue de les bloquer à la frontière.
C’est dans cette étrange atmosphère que les cars du mouvement ATTAC (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) parviennent quelques heures plus tôt à Prague. Après un long trajet et quatre heures d’attente et de tracasseries administratives à la frontière... L’arrivée dans la ville a été soigneusement encadrée par quatre voitures de police, trois agents en civils se chargeant de filmer et de surveiller les 150 militants. Le groupe rejoint rapidement la manifestation. L’atmosphère semble bon enfant même si quelques activistes, redoutant les grenades lacrymogènes, ont revêtu cagoules et masques à gaz. Au-dessus du cortège sifflent les pales des hélicoptères policiers.
400 médiactivistes
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À quelques centaines de mètres de là, une porte banale dont l’entrée est protégée de l’intérieur par deux militants. Derrière, un petit local perdu au fond d’une impasse : c’est le centre "administratif" d’IndyMedia. Ce collectif international de journalistes indépendants veut, entre autres, proposer une alternative aux points de vue et images de la mondialisation que véhiculent les médias grand public. Et témoigner notamment des violences policières largement passées sous silence lors de ce genre de manifestation. À Prague, 400 "médiactivistes" se sont déjà enregistrés pour obtenir le laissez-passer qui les accrédite auprès des manifestants et des forces de l’ordre. Tout le monde y parle en anglais, les médiactivistes étant, à l’image des manifestants, tchèques, américains, espagnols, italiens, anglais, français, allemands... Le fonctionnement des IndyMedia Centers est relativement rôdé depuis Seattle, où le premier centre fut créé en novembre 1999 : il s’agit d’espaces équipés d’ordinateurs, sur lesquels les journalistes peuvent livrer leurs informations. L’accréditation donne aussi accès à divers endroits de la ville, comme le cybercafé-galerie Cafe9, à quelques stations de là, d’où l’on peut mettre en ligne, et en direct, les reportages photo, vidéo et les articles. Si l’ambiance y est plutôt cool, les ennuis s’accumulent : le site web tombe en rade plusieurs fois d’affilée. Il faut trouver une solution, réparer le problème, voire appeler les ...tats-Unis, où sont hébergés les serveurs...
C’est là qu’on apprend par téléphone portable que la manifestation vire à l’aigre. Les manifestants seraient bloqués, à quelques kilomètres ; ils auraient été attaqués à coup de canons à eau et de bombes lacrymo, et compteraient plusieurs blessés. L’info est publiée dans l’instant sur prague.indymedia.org. Quelques minutes plus tard, une dépêche de Reuters tombe, elle ne mentionne ni les grenades lacrymogènes ni les blessés, mais indique que des manifestants auraient lancé des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre. Le tout se passe autour d’un pont, qui bloque l’accès au Palais des congrès, transformé en forteresse. "Dehors, c’est la guerre, un cauchemar", rapporte bientôt une membre d’IndyMedia revenue pour témoigner en ligne de ce qu’elle qualifie de "combats de rue". Selon un autre témoin, membre lui aussi d’IndyMedia, un seul cocktail Molotov aurait été jeté en direction de la police... Les premières images vidéo arrivent elles aussi dans la foulée au Cafe9 afin d’être mises en ligne. Enfin une bonne nouvelle : deux autres groupes de manifestants seraient indemnes. Pas de confrontation violente avec la police, certains danseraient même la samba. On en saura plus ce soir, lors du debriefing quotidien des membres d’IndyMedia. Dernière nouvelle en date : tous les métros sont fermés. Il va falloir se débrouiller, à pied, pour pister ce qui reste des cortèges. Et retrouver les cars, qui ramènent, ce soir (mardi 26 septembre), les militants français d’ATTAC à Paris...