Un négationniste récidiviste et un site antisémite pro-palestinien passaient en jugement à Paris, mercredi. L’audience a donné lieu à une petit cours d’Internet...
Edgar Pansu |
Scène incongrue au palais de justice de Paris, mercredi 20 septembre : une kyrielle de robes noires s’est agglutinée autour d’un PC, dans le bureau du juge de la XVIIe chambre du tribunal correctionnel. La greffière, au clavier, tape une adresse Internet dans le navigateur, sous la dictée d’un avocat. Derrière, on tend le cou et on se pousse du coude pour regarder. La totalité de la salle d’audience s’est transportée, prévenu et gendarmes compris. Les parties évitent toutefois de se mélanger : d’un côté l’accusé, Pierre Guillaume, fondateur de la librairie révisionniste la Vieille Taupe, poursuivi pour un tract antisémite. Pour le défendre, ...ric Delcroix, avocat du chantre du négationnisme, Robert Faurisson. De l’autre côté, les parties civiles : l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), le MRAP (Mouvement contre le racisme l’antisémitisme et pour l’amitié entre les peuples) et la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme).
Affaires groupées
Marc Lévy, avocat de la LICRAEdgar Pansu |
Sur la page web affichée par le navigateur apparaît soudain le deuxième prévenu, celui qui ne s’est pas présenté à l’audience : Ahmed Rami, ex-colonel de l’armée marocaine réfugié en Suède et responsable présumé du site Radio Islam, un portail dédié à la haine des juifs. Un site internet et un tract : les deux affaires, a priori, n’ont pas grand chose à voir. On les a regroupées parce que le texte de Pierre Guillaume figure sur le site d’Ahmed Rami. Rien ne prouve que le libraire parisien ait lui-même mis en ligne son tract. Il se retrouve donc accusé dans une affaire et témoin dans l’autre. C’est l’avocat de la LICRA, Marc Lévy, qui a tenu à organiser une démonstration en ligne. Il s’est même assuré au préalable que le tribunal disposait d’une connexion internet. Son but : prouver que le nom d’Ahmed Rami, qui nie être responsable de Radio Islam, figure bien sur toutes les pages du site. Mais la démonstration ne s’arrête pas là. L’avocat s’adresse à la greffière : "
Allez sur Lycos et tapez chambres à gaz et holocauste." Puis il se tourne vers le juge Montfort, président de la XVIIe chambre du tribunal : "
Vous voyez, Radio Islam est la première réponse obtenue. Il ne s’agit donc pas d’un petit site sans audience." Quelqu’un suggère de réitérer la requête sur Yahoo !. "
Yahoo !, ceux qui censurent ?", glisse Pierre Guillaume à ses amis révisionnistes venus le soutenir. Commentaire rieur du même à propos du site de Radio Islam : "
Le site est très bien fait." Pure provoc...
Un ex-partisan du général Oufkir
Retour dans la salle d’audience. Les avocats doivent procéder à une double plaidoirie. Stéphane Lilti, pour l’UEJF, concentre la sienne sur le cas de Radio Islam. Il est complexe. Ahmed Rami, ex-officier marocain, a obtenu l’asile politique en Suède après avoir participé au coup d’...tat avorté du général Oufkir, en 1971. Pro-palestinien, il a déjà été condamné en Suède pour ses propos antisémites tenus sur une radio qu’il avait fondée. Interdite, celle-ci s’est muée en site internet. Entendu lors de l’instruction par les policiers suédois pour le compte de la justice française, Ahmed Rami a nié être le responsable de ce site, qui publie dans toutes les langues des classiques antisémites, comme le Protocole des Sages de Sion. Pour les parties civiles, sa culpabilité ne fait pas l’ombre d’un doute : Me Lilti mentionne les constats effectués lors de l’instruction, prouvant qu’il y a quelques semaines encore, Ahmed Rami était enregistré comme le dépositaire du nom de domaine de Radio Islam, abbc.com.
Pas d’affaire Yahoo 2
Un Marocain réfugié en Suède, un site vraisemblablement hébergé aux ...tats-Unis... le lien avec la France ? Laurent Lévy, avocat du MRAP, donne la réponse : "De nombreuses pages sont rédigées en français, donc destinées au public français. Et elles peuvent surtout être consultées depuis notre territoire." Les parties civiles rappellent que le juge des référés, Jean-Jacques Gomez, a autorisé, à ce titre, des poursuites contre Yahoo !. Marc Lévy, défenseur de la LICRA, le justifie : "Si l’on ne peut pas mener d’action contre les sites internet, la lutte contre le racisme n’ira pas bien loin." Radio Islam ne deviendra pas, pour autant, une nouvelle affaire Yahoo ! Le MRAP, l’UEJF et la LICRA n’ont pas demandé, en effet, que le site soit rendu inaccessible aux internautes de France. Les trois parties civiles suivent le réquisitoire du procureur, soit "au moins six mois d’emprisonnement", condamnation qui interdirait à Ahmed Rami l’entrée sur le territoire français. Le jugement a été mis en délibéré jusqu’au 18 octobre.