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Petits-fours et beau linge : près de 5000 personnes ont tenté de monter à bord des onze péniches affrétées pour la soirée de lancement d’Amazon France. Une fête sans grand panache.
Des dizaines de scooters dernier cri s’alignent sur le parking. Plus bas, sur la Seine, la police fluviale patrouille, pistant d’hypothétiques resquilleurs. Kenzo, Motorola, Palm Pilot et BMW : la soirée de lancement d’Amazon.fr - qui ouvre le 31 août - est un cadavre exquis de tendance. Une foule apprêtée se presse dès vingt heures devant les grilles, patientant, carton d’invitation en main, pour accéder aux onze péniches louées pour l’occasion et amarrées symboliquement en face de la Bibliothèque nationale de France. L’essentiel pour chacun consiste à se composer un air détaché : "Et bien quoi ? Oui, on fait partie des gens qui comptent", lâche un invité. Une attachée de presse frétille : "Ce n’est pas un listing d’invitations que nous avons, c’est tout le bottin mondain. Bruel et Ledoyen ne devraient plus tarder !" C’est vrai qu’il y a du beau monde : des gens importants (Raphaël Sorin, directeur littéraire de Flammarion, Michel Meyer, PDG de Multimania, Patrick Robin, président d’Imaginet...) et puis des incongrus. Patrick Bouchitey badine, un verre à la main. Amazon enthousiasme le comédien, qui a raté un épisode : "La lecture en ligne sur Internet, c’est formidable !" La grande question de la soirée repose sur la venue éventuelle de François-Henri Pinault, fils de son père, patron de fnac.com et concurrent direct d’amazon.fr sur le marché de la vente en ligne. Personne ne l’a aperçu...
Agapes en rupture de stock
PER/transfert
Les réjouissances démarrent vers 20 h 30, lorsqu’un speaker annonce l’arrivée de Denis Terrien. Le discours inaugural du président d’Amazon France est bref. C’était intéressant ? "J’sais pas, j’ai rien entendu", ronchonne un journaliste économique, visiblement plus préoccupé par son estomac. C’est un peu le cas de tout le monde. Les buffets n’ouvrent qu’à 21 h 30, "pour qu’on écoute bien sagement les discours", note un inconnu. Amazon attendait 4 500 personnes. Il y en un peu plus. Du coup, la jeunesse dorée de la cyber-économie crie famine : en quelques minutes, les petits-fours ont disparu. Et vers 22 h 30, déjà, les quais se vident, jonchés de verres brisés. Seul espoir : accéder au Batofar, la boîte flottante, le repère des VIP. Mission impossible. Par dépit, quelques grappes d’invités pianotent nonchalamment sur les bornes électroniques installées devant les péniches, qui présentent le futur site d’amazon.fr. Mais les ordinateurs tombent en carafe les uns après les autres.
Débats improvisés
Heureusement, devant l’entrée, il reste encore de quoi grignoter. Pendant deux heures, une quinzaine de membres des deux associations françaises de défense des logiciels libres, l’APRIL et l’AFUL, distribuent sans mollir des petits biscuits secs : "Des cookies libres, non brevetés par Amazon" (lire Des cookies contre les brevets logiciels). Un manifestant alpague Bernard Benhamou, l’un des candidats français les mieux placés pour les élections au directoire de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’organisme mondial qui supervise le fonctionnement d’Internet. L’échange est assez vif. Avec la tempérance compassée du prof de Sciences-po, Benhamou explique : "Il faut aller vers une diminution de la durée de vie de la propriété intellectuelle, tout en maintenant le principe des brevets, car il est légitime de rémunérer les idées*." Joris Vanderhoeven, chercheur au CNRS, répond : "En informatique, l’innovation est rapide et spontanée. Les brevets sur les logiciels ne récompensent pas l’innovation. Ils ne font que servir les stratégies de développement des grandes sociétés."
Bezosmania ?
Benhamou abrège et s’éclipse. Sur les quais, c’est aussi l’heure de prendre congé pour Jeff Bezos, le médiatique PDG américain d’Amazon. Le plus gros libraire du monde avance avec détermination vers sa berline qui l’attend aux pieds des tours de la bibliothèque François-Mitterrand. Il est cerné par ses gardes du corps et serré de près par un essaim de curieux et de courtisans. Jean-François Bizot, le patron de Nova, s’esclaffe, ironique : "C’est marrant, on se croirait revenu à l’époque de Tonton." Á symbole, symbole et demi.
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*Bernard Benhamou, toujours candidat à l’ICANN, nous a contactés pour préciser que par le terme d’"idées", il entendait en fait "créations intellectuelles".
Puis il nous a adressés le droit de réponse suivant :
"Le texte de cette interview ne représente ni mes convictions ni les propos qui furent les miens lors de cette rencontre. Sur le sujet crucial que représente l’évolution de la propriété intellectuelle sur Internet, mes prises de positions dans le débat sur Amazon restent les mêmes : le brevet logiciel est un abus. En tout état de cause il n’est pas légitime de breveter un concept comme celui du "one click shopping" au risque de paralyser l’ensemble des entreprises qui pourraient utiliser ce principe.
Et plus généralement le principe d’étendre la zone de brevetabilité aux logiciels risque d’entraîner l’Europe dans une surenchère juridique et technologique préjudiciable à l’innovation elle-même. Ce danger est tel, que le professeur à Harvard Lawrence Lessig (qui fut conseiller du gouvernement américain dans le procès Microsoft) dans son éditorial du Financial Times (lire Editorial de Lawrence Lessig) nous mettait lui aussi en garde sur les risque de l’américanisation du droit européen dans ce domaine."
Bernard Benhamou
Maître de conférence à Sciences-Po et candidat à l’Icann
Réponse de l’auteur de l’article :
"Faut-il comprendre que Bernard Benhamou est favorable à la disparition des brevets sur les logiciels ? Difficile à dire. Transfert maintient qu’au cours du bref échange qui a eu lieu le 29 août dernier, sa position était plus modérée. Il expliquait notamment que " si des brevets ont été déposés au-delà du raisonnable, la protection de la propriété intellectuelle demeure un principe intangible". Mais tout le monde peut changer d’avis."