Les distributeurs de MP3 commencent à dévoiler ce qui pourrait rapidement devenir le modèle économique de l’édition musicale du XXIème siècle.
Il y a deux ans, le MP3 était un format pour nerds branchés. Et les éditeurs de musiques ferraillaient avec Diamond pour faire interdire la vente de son baladeur MP3, le Rio 300. Quelques mois et quelques millions de fichiers téléchargés plus tard, le Rio est vendu à la FNAC, Diamond a été repris par S3 et les autres fabricants de matériels audio se battent pour occuper un créneau que tout le monde sait désormais porteur.
En présentant ses nouveaux produits à la presse, Nick Kaddick, le PDG de S3 a pris acte de ces changements. Ainsi, l’intégration aux baladeurs Rio d’un système vérifiant le copyright marque la volonté du constructeur de devenir un acteur "correct" de l’industrie musicale. Une démarche que l’on retrouve, depuis la création il y a un an du consortium SDMI (Secure Digital Music Initiative), chez la plupart des constructeurs de matériel. Cela se traduit, en général, par la capacité des nouveaux lecteurs à gérer des formats plus "sécurisables" que le MP3, comme le format WMA de Microsoft ou Liquid Audio. L’idée sous-jacente était alors de créer un marché du fichier téléchargeable vendu à l’unité...
Incontournable MP3
C’était compter sans Napster, myMP3.com, Gnutella et les autres systèmes de partage et d’échange de fichiers qui ont, en un an, imposé le MP3 illégal comme LE standard incontournable de la musique numérique, faisant de ses concurrents "sécurisés" des formats propriétaires sans grand avenir. Résultat : le modèle économique de la vente directe de fichiers musicaux numériques à l’unité apparaît difficilement viable.
Ce constat a poussé des sites de distribution de musique en ligne comme Emusic à revoir leur stratégie. Emusic, qui vendait des morceaux en téléchargement au prix de 99 cents l’unité, a dû récemment se séparer d’une partie de son personnel et se tourner vers une forme de B to B. La société a annoncé le 30 juin la signature d’un accord commercial avec Hewlett Packard : le fabriquant de matériel a acheté pour 3 millions de dollars de musique téléchargeable au site Emusic. En échange, les acheteurs de graveurs HP pourront pendant deux mois télécharger tous les morceaux souhaités parmi le fonds de 100 000 titres que possède Emusic. Ce dernier espère ainsi créer une habitude chez le consommateur et le détourner des autres options gratuites (comme Napster ou myMP3.com). Cet accord préfigure peut-être le futur mode de distribution de la musique : une distribution proche de la radio où la musique n’est pas achetée par le consommateur mais par les organismes qui veulent attirer le consommateur.
L’abonnement, solution d’avenir ?
Autre solution possible : la vente d’abonnements. L’usager paie une redevance mensuelle ou annuelle et dispose d’un droit illimité de téléchargement. C’est vers ce modèle que semblent s’orienter Napster et MP3.com... Si la RIAA (Recording Industry Association of America) et les autorités judiciaires américaines leur en laissent la possibilité. Pour le PDG de Mp3.com, la musique se vendra bientôt comme l’électricité ou l’eau. À la logique de stock (titres et CD vendus à l’unité) de l’industrie musicale actuelle, Napster propose une logique de flux (titres diffusés par lots à la demande) pour la distribution musicale. L’avocat de Napster, David Boies, vient d’ailleurs de préciser la conception qu’a son client du copyright. Dans une requête déposée le 3 juillet visant à suspendre la procédure d’interdiction qui touche Napster dans sa bataille avec la RIAA, le juriste avance l’argument que les usagers de Napster n’enfreignent aucune loi en échangeant des titres sous copyright puisqu’un arrêt de 1992 (Audio Home Recording Act) avait déjà permis de "légaliser" le Rio. Le texte stipulait que "toute copie non commerciale de musique par un consommateur est légale". Le juge décidera le 26 juillet si Napster doit bannir de son service tous les utilisateurs proposant des titres sous copyright. Un arrêt en faveur de Napster marquerait le début de la fin d’un modèle économique créé il y a plus d’un siècle avec l’invention du phonographe.