Imaginez une usine de la taille d’une imprimante, qui réaliserait instantanément l’objet de vos rêves. Elle existe. Enfin, sur le papier. Baptisé Monsieur Faltazi, ce projet n’attend plus que quelques dizaines de millions de francs pour révolutionner l’industrie.
C’est un projet digne d’un film de science-fiction. Monsieur Faltazi, c’est son nom, est un réseau de distribution d’objets instantanément produits. En clair, il donne la possibilité de faire fabriquer n’importe quel objet, selon ses goûts et rapidement. Ce réseau d’un genre nouveau met à la portée du grand public une technologie jusqu’ici exclusivement utilisée par le milieu industriel : le prototypage rapide, plus connu sous le nom d’imprimante 3D. Son principe d’origine : réaliser des prototypes en trois dimensions, à partir d’un simple fichier de dessin, pour tester leur fiabilité et leur validité. Ce type de technologie a tellement progressé que les machines sont passées des maquettes à la production d’objets « finis ». Des mini usines aux potentialités énormes. Elles peuvent en effet fabriquer une pièce de rechange pour aspirateur le matin et un objet de décoration l’après-midi. Et ceci en un exemplaire ou en plusieurs centaines.
De la poudre et des lasers
L’utilisation de ce procédé pourrait révolutionner les façons de produire et de consommer. C’est en tout cas la certitude de ses concepteurs, Laurent Lebot et Victor Massip. Depuis leur sortie, en 1997, de l’...cole nationale supérieure de la création industrielle à Paris, ils sont persuadés de détenir l’idée du siècle. Leur jury de fin d’études a été le premier surpris. « Le sujet devait être prospectif. Certains se sont demandé si le nôtre ne l’était pas trop », se remémore Laurent Lebot. Mais leur projet recueillera finalement les félicitations des jurés.
Désormais installés à Nantes, sur d’anciens quais portuaires, les deux trentenaires ont monté leur agence de création de sites internet et de design industriel. Faute d’argent, Monsieur Faltazi, leur réseau d’objets instantanés, est en sommeil. Mais il n’est pas mort. Victor et Philippe y croient dur comme fer. Ils parlent longuement des différentes techniques qui existent sur le marché. Monsieur Faltazi a choisi celle du frittage de poudre, inventée aux ...tats-Unis en 1986. « C’est la plus adaptée à nos besoins, car elle permet d’obtenir des pièces en matériaux divers - plastique, caoutchouc, métal ou céramique -, résistantes, recyclables et sans cuisson finale », détaille Laurent Lebot. Il a testé une machine de ce type, en 1997, sur l’un des rares exemplaires disponibles en France à l’époque. Une grosse carcasse d’environ trois millions de francs. Le prix d’un travail d’une incroyable précision. Un rouleau passe et repasse. Il dépose à chaque fois une très fine couche de poudre sur laquelle un laser vient dessiner le profil géométrique de la pièce souhaitée. Sous l’effet de la chaleur, les particules de poudre s’agglomèrent les unes aux autres. Petit à petit, par superposition successive de ces couches, un objet se matérialise. « Par son incroyable souplesse, cette technologie nous ouvre un nouvel univers formel. Elle peut faire des choses d’une grande complexité. C’est assez démoniaque », constate, dans un sourire, Victor Massip. Démoniaque et économe. Plus besoin de hangar pour stocker les produits, ni de logistique pour les transporter, car ils sont fabriqués à la demande et directement sur le lieu de consommation.
Mais la révolution Monsieur Faltazi ne serait pas complète sans son système de distribution. Comment toucher le plus grand nombre ? En alliant boutiques réelles et virtuelles. Le site monsieurfaltazi.com donnera accès, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à un catalogue d’objets. Des pièces de rechange pour l’électroménager aux reproductions de pièces de musée, en passant par des objets de décoration, des jeux, des journaux en braille ou encore des bijoux. Commandés en ligne, ils seront livrés directement à domicile. Mais pour un cadeau plus perso, il vaudra mieux se déplacer dans une des boutiques Monsieur Faltazi, présentes dans les quartiers, les centres commerciaux, les musées, les écoles ou les bibliothèques. Ces dernières offriront, en effet, la possibilité de se faire scanner en 3D. Ainsi, après une photo en trois dimensions de vos pieds, vous choisirez un modèle sur la borne interactive du magasin et vous repartirez avec votre paire de chaussures
personnalisée. Ce sera le royaume du sur mesure. Plus besoin de longues et coûteuses études de marché pour dénicher le produit qui plaira au plus grand nombre, comme dans l’industrie traditionnelle. « Ce sera la fin de la mise sur le marché de produits fades et sans caractère, car issus de trop nombreux compromis », conclut Victor Massip. Un rêve éveillé, en quelque sorte.
« En 1997, ce projet apparaissait certainement comme un peu futuriste. Mais plus en 2001. Nous avons désormais atteint la maturité technologique suffisante pour nous lancer », assurent les designers. Mais pour les spécialistes du secteur, mettre ce procédé au service du grand public est encore un peu prématuré. « La technologie du prototypage rapide a beaucoup progressé ces dernières années, mais elle reste lente et chère. On risque de décevoir les gens. Comme il y a dix ans, quand des magasins se sont lancés sur le créneau de la reproduction d’objets par stéréolithographie (1), l’une des premières techniques de prototypage rapide. La qualité n’était pas au rendez-vous », analyse Thierry Dormal, responsable d’un service de prototypage rapide basé en Belgique. Cependant, la tendance est là. Indiscutable. « C’est un service qui existe déjà pour les entreprises. L’idée de le transférer au grand public est intéressante. Tout dépend du premier qui se lancera sur ce marché. Il peut décevoir, comme réussir. Dans le second cas, ce sera un nouveau Bill Gates », prédit Alain Bernard, vice-président de l’Association française du prototypage rapide. Aux ...tats-Unis, les expérimentations se multiplient. Gene Kirila est passé à la pratique avec son Virtual Engineered Composites, qualifié de « révolution de l’usine en boîte » par le magazine Time. Ce système de moulage chimique, entièrement contrôlé par Internet, se présente comme un grand fax en trois dimensions. Il permet de fabriquer n’importe quel produit, n’importe quand, n’importe où. Gene Kirila souhaitait franchiser sa mini usine à travers le monde. Mais, racheté par un grand constructeur de bateaux, le VEC ne sert pour l’instant qu’à la fabrication de coques.
Une horde de créateurs
Laurent Lebot et Victor Massip sont conscients que cette technologie ne supplantera pas l’industrie classique. Elle s’installera sur un créneau de produits d’un genre nouveau, à forte valeur ajoutée. Pas question de proposer des assiettes ou des petites cuillères. Pas assez rentable. Pour commencer, Monsieur Faltazi a choisi de se positionner sur le créneau du luxe avec une collection de bijoux et de chaussures, pour créer « un potentiel d’image ». Le site monsieurfaltazi.com offre, pour l’heure, une simulation. Histoire de prouver que ce projet n’est plus du domaine du rêve. Mais il lui manque plusieurs millions de francs pour entrer vraiment en action. Un gros investisseur est espéré. « Il nous faudrait un Vivendi Universal », lâche Victor Massip. Ambitieux, les deux hommes ont déjà imaginé une nouvelle génération d’objets. Ils ont découvert qu’en enrichissant la poudre de base, on pouvait la doter de propriétés chimiques. D’où la naissance d’une série de plantes en plastique, aux fonctionnalités étonnantes. L’un de leurs buissons offre des bulbes renfermant chacun des parfums différents. La plante à spatules, elle, se transforme en véritable pharmacie portable : en frottant l’une des spatules contre une plaie, on libère une solution antiseptique. Les deux compères se seraient-ils perdus dans la quatrième dimension ? Non, assurent-ils. Ils se contentent d’utiliser au maximum les potentialités de cette machine. L’une de leurs volontés est d’ouvrir très largement le site aux « hordes de créateurs virtuels », designers comme eux ou artistes multimédias de tous pays, qui pourront y proposer leurs inventions. « Ils seront rémunérés par un pourcentage sur les ventes. Nous souhaitons créer une bourse des objets, en mettant directement en relation créateurs et clients. Fini les intermédiaires. C’est l’équivalent du MP3, mais pour les objets », analyse Victor Massip. Les deux Français voient loin. Un peu trop loin ? Difficile de leur reprocher leur esprit visionnaire. Faltazi, en breton, cela veut dire imagination.•
(1) La stéréolithographie est le plus vieux procédé de prototypage rapide. Un laser irradie et trace, sur une surface de résine, un profil géométrique. Il exécute d’abord le profil de la tranche, puis répète la procédure. À la fin du processus,
la pièce doit être recuite pour perdre son aspect visqueux.
« Une technologie au potentiel énorme »
Terry Wohlers, consultant aux ...tats-Unis, est considéré comme une référence mondiale dans le domaine des nouvelles formes de production et spécialement du prototypage rapide.
Mettre le prototypage rapide au service du grand public, est-ce possible dès aujourd’hui ?
À l’heure actuelle, le coût serait prohibitif pour le consommateur moyen, car c’est une technologie essentiellement utilisée en « B to B ». Mais ses applications vont se multiplier et son potentiel est énorme. Les machines de prototypage rapide restent aujourd’hui limitées dans leurs performances et elles ne peuvent traiter tous les matériaux. La production d’objets pour les particuliers serait peu rentable. Il est en revanche beaucoup plus réaliste de les utiliser pour certains produits comme les bijoux. Ce sont des objets complexes, ce que le prototypage rapide maîtrise à la perfection.
Est-ce qu’on peut parler d’une révolution de l’industrie numérique ?l’industrie numérique ?l’industrie numérique ?
Cette technologie est effectivement incroyable, car avec elle, plus besoin de fabriquer des moules pour produire. Chaque objet fabriqué est unique. Je suis convaincu qu’à l’avenir, cette technologie se développera sur un très gros marché. Elle n’en est qu’à ses débuts, le meilleur est à venir.
Certains imaginent même que chaque foyer possédera à l’avenir sa propre mini usine. Qu’en pensez-vous ?
Techniquement, c’est possible dès aujourd’hui, mais il est peu probable que cela arrive bientôt. Car cette mini usine ne peut intéresser que ceux qui aiment créer et fabriquer des objets. Ils sont peu nombreux. La majorité des gens préfèrent aller au magasin ou sur Internet pour faire leurs achats. Cette technologie pourrait, au contraire, passionner les étudiants et les jeunes qui sont, par nature, très créatifs.