Ce bal masqué atypique est une soirée pour la recherche... privée
Jacques Durand, un médecin du sud de la France, organise une "Pneumo-party" le 3 juin, pour lever des fonds contre le Sras (Syndrome respiratoire aigü sévère). Cette opération de "communication festive" en boîte de nuit est soutenue par l’Institut Pasteur qui y voit un moyen de sensibiliser les jeunes aux bienfaits de la recherche privée.
Le logo de la soirée organisée par Jacques Durand dans une boîte de nuit parisienne, le 3 juin (DR)
"Soirée dansante masquée", "Night virus fever", "Striptease des masques" et "surprises", voilà ce que promet le programme de la Pneumo-Party, qui se tiendra le 3 juin au Back Up, une boîte parisienne du 15e arrondissement. Le père de cette soirée atypique est Jacques Durand, un médecin toulousain rattaché au ministère de la Santé, qui précise que son travail ne consiste pas à lutter contre le célèbre virus Sras mais qu’il intervient auprès des handicapés.
"L’idée de la Pneumo-party, c’est de déstresser les gens, qui ont parfois un comportement agressif vis-à-vis des victimes du virus", explique Jacques Durand, pour qui la France, peu touchée, ne montre pas assez de solidarité envers les pays asiatiques.
Pour justifier l’utilité de ce qui peut paraître comme une simple blague ambigüe, Jacques Durand, qui a réalisé lui-même le site internet de la soirée, précise qu’il s’agit d’un vrai "appel au don public" pour la recherche contre le virus : "Les masques qu’on distribuera, par exemple, sont de vrais équipements médicaux. On n’est pas là pour profiter."
"Pas un prince de la nuit"
En payant 19 euros pour l’entrée et une consommation, les clients pourront espérer aider la recherche contre le Sras et passer une soirée très thématique, avec diverses animations telles que des spectacles d’acteurs de rue.
L’organisateur espère que 900 personnes viendront au Back Up, qui peut en accueillir 1200.
"Nous avons surtout un partenariat avec l’Institut Pasteur" souligne Jacques Durand, qui, s’il avoue ne pas être un "prince de la nuit", a dans le passé effectué de l’assistance médicale pour des équipes scientifiques en mission en Asie.
Lors de la soirée, les participants à la Pneumo-party recevront des dépliants d’information sur le Sras fournis par l’Institut Pasteur et pourront verser leur obole dans une urne prévue à cet effet.
Pasteur dans la danse
Sylvie Delassus, chef du service de la communication externe et du soutien à la recherche de l’Institut Pasteur, confirme qu’il existe bien un partenariat avec l’organisateur de la Pneumo-party, qui a pris l’initiative de la contacter.
Si l’inititative est louable, on se demande tout de même dans quelle mesure les fonds levés par la Pneumo-party pourront aider la recherche de l’Institut Pasteur, qui dit avoir une cinquantaine de personnes mobilisées contre le Sras, pour un budget de plusieurs centaines de milliers d’euros.
"Notre laboratoire spécialisé dans la grippe, qui travaille actuellement presque uniquement sur le Sras, avait déjà consommé tout son budget annuel fin avril...", explique Sylvie Delassus, pour montrer l’effort consenti par Pasteur sur ce dossier.
"Jacques Durand est plein d’espoir quant à sa collecte de fonds. Je suis personnellement beaucoup plus sceptique", précise Sylvie Delassus.
A la recherche des jeunes
En fait, l’intérêt de Pasteur réside principalement dans la communication à long terme auprès d’un public très jeune, que l’Institut dit ne pas réussir à toucher : "En France, nous avons une culture de l’Etat omniprésent et omnipotent, avance Sylvie Delassus. Les gens ne veulent pas payer plus d’impôts mais ne veulent pas non plus donner, parce qu’ils ont l’impression que l’Etat devrait se charger de tout ça. Si l’on n’explique pas aux jeunes que les choses peuvent se faire différemment et qu’il y a des avantages à cela, on sera encore dans la même situation dans 20 ans."
Pour l’Institut Pasteur, les circuits privés de financement de la recherche présentent des avantages : "Il y a d’abord le choix de l’objet de recherche. Il faut savoir qu’en France, 80 % des crédits publics de recherche vont au secteur spatial. Ce n’est pas le choix spontané du public..." explique Sylvie Delassus. Elle avance aussi que les circuits privés permettent une "meilleure réactivité" en cas d’urgence, comme dans la lutte contre le bacille du charbon à laquelle Pasteur a participé.
Soirée très privée
L’Institut Pasteur est une fondation privée reconnue d’utilité publique, dont le budget (188 millions d’euros en 2002) est financé par trois sources, selon Sylvie Delassus : un tiers de subventions, un tiers de mécénat (dons, legs) et un tiers de revenus propres grâce à la vente de licences et de brevets.
L’Institut Pasteur, qui a validé un test de détection du Sras distribué gratuitement aux sept hôpitaux agréés en France, travaille sur un projet de vaccin contre le virus. Ce vaccin pourrait faire l’objet d’un brevet.
Jacques Durand, lui, croit aussi aux bienfaits du secteur privé pour pallier ses carences de moyens. Celui qui a travaillé dans le passé pour le géant de l’industrie pharmaceutique AstraZeneca cherche à intéresser des "grands groupes" au concept de Pneumo-party.
"On veut créer des partenariats dans lesquels les entreprises financent et nous apportons la caution éthique. C’est possible dans le monde du voyage qui est touché par le virus, par exemple", explique Jacques Durand, qui s’est associé avec un organisateur de soirées événementielles indépendant, Jacques Delcausse Organisation/Team Incentive. Tous deux espèrent que la Pneumo-party du 3 juin sera la première d’une longue série. Jacques Durand ajoute, sans rire : "Vous savez, je suis un médecin atypique."