Laurent Trupiano et Frédéric Sitterlé ont créé Sport24 il y a 3 ans. Ils en ont fait le leader de l’info sportive en ligne, l’équivalent web de l’...quipe.
De vieilles photos noir et blanc ornent le mur du hall d’entrée. Des équipes de foot anglaises du début du siècle. Un peu plus loin, trônent dans une vitrine deux ballons de rugby et une paire de chaussures sans âge, en vieux cuir et crampons en bois. Nous sommes à Vincennes, au rez-de-chaussée d’un immeuble bunker, chez Sport24, leader des sites d’infos sportives en France, d’après le classement Cybermétrie. « Et l’un des plus anciens », ajoute immédiatement Laurent Trupiano.
Cofondateur du site, avec Frédéric Sitterlé, il est le capitaine d’une équipe de 20 journalistes titulaires, sans compter les « remplaçants », pigistes sur Paris et la province. Polo de rugby, pantalon en toile et baskets, cet ancien du Progrès de Lyon et du Parisien assure la permanence de ce premier dimanche de février. L’actu de la journée, c’est le hand : la France joue la finale du championnat du monde à Bercy, face à la Suède. « On a deux journalistes sur place, qui nous envoient des infos et qui feront les interviews et réactions d’après-match », annonce Laurent Trupiano. En attendant, le match de rugby France-...cosse tient une partie de la rédaction en haleine. Scotché à une télé, un stagiaire se charge du « minute par minute » du match, tandis qu’un journaliste prépare un compte-rendu qui sera mis en ligne dès le coup de sifflet final. Au total, une dizaine de personnes s’activent pour mettre en ligne articles, résultats et statistiques sur le Vendée Globe, le biathlon, le foot étranger ou le basket... Les yeux rivés sur les écrans de télévision et de PC, on surfe et on zappe sur France 2, Canal Satellite, Pathé Sport ou sur les sites des athlètes, des fédérations, des journaux étrangers.
Les membres de l’équipe, dont certains arborent en supporters des maillots de clubs de foot, sont presque tous des hommes. Misogyne, Sport24 ? « Nous avons deux filles dans la rédaction, c’est vrai que c’est peu, admet Laurent Trupiano. Mais je ne reçois pas de bons CV. Je ne vais pas les embaucher uniquement pour dire qu’on a des filles dans l’équipe ! »
Passé en un peu plus de trois ans de la catégorie amateur à la première division, Sport24 est né de l’association de deux hommes. Un journaliste expansif, Trupiano, et un ingénieur réservé, Frédéric Sitterlé. En costume sombre et chemise claire, Sitterlé se charge du rappel des faits. « En 1996, j’avais monté infosport.org, raconte le PDG de 25 ans. Une petite page perso que je mettais à jour le soir ou le week-end. À l’époque, il y avait peu d’internautes. C’était un plaisir solitaire. » Il monte ensuite le site officiel de la Coupe du monde, france98.fr, puis s’occupe des projets internet de la Fédération française de football. La rencontre avec Trupiano intervient, elle, début 98. Responsable éditorial de la chaîne sport de MSN France, il a également, de son côté, créé un petit site, timesport.com, qui connaît un franc succès avec 300 000 pages vues par mois. L’entente est immédiate : « Nous étions sur la même longueur d’ondes. » Les statuts de Sport24 sont déposés à la mi-98, sans réelle volonté de se lancer dans le business. Chacun garde son boulot. Le budget initial est de 600 000 francs, une somme apportée par deux financiers, dont un équipementier sportif, qui rajoutent deux millions de francs les deux années suivantes. « On se débrouillait avec rien. Nos locaux étaient à Ivry-sur-Seine, des planches sur des tréteaux servaient de bureaux, on avait deux vieilles télés », raconte Laurent Trupiano. Il recrute des journalistes venus de la presse régionale et définit la ligne éditoriale du site. « L’idée de départ était de commencer par les sports moins médiatisés, comme l’athlétisme, le hand, le basket, pour se forger une légitimité. On devait prouver au milieu sportif et médiatique qu’on était de vrais pros », explique-t-il, tout en avouant que le foot était inattaquable à l’époque, monopolisé par la télévision (Canal + et TF1). Les premières accréditations arrivent, les premiers articles dans la presse suivent. Pourtant, pendant un an, l’équipe ne grossit plus, le site stagne et la vétusté des locaux est de moins en moins supportable.
Le sport, c’est sérieux
« Nous avions mis le doigt dans un engrenage et il nous fallait de l’argent pour nous développer », poursuit Frédéric Sitterlé. En février 2000, Dassault Développement et Innovacom investissent 20 millions de francs dans Sport24. Après un déménagement pour Vincennes, dans des bureaux plus modernes, une nouvelle formule est lancée en mai 2000, pour Roland-Garros. Puis ce sera l’Euro, le Tour de France et les Jeux olympiques de Sydney. À chaque grand événement, des rubriques spécifiques sont lancées, des pages spéciales montées, avec des photos, du son et des consultants de luxe (comme Patrice Dominguez pour le tennis).
Les efforts paient. Aujourd’hui, le site regorge d’infos, même si on peut regretter un graphisme tristounet et des prises de position encore trop rares. Cela n’empêche pas leur travail d’être reconnu, notamment par les instances dirigeantes du sport. Sport24 est ainsi le seul site français à avoir reçu du Comité international olympique deux accréditations pour les JO d’hiver de Salt Lake City. « C’est une grande satisfaction, se réjouit Frédéric Sitterlé. Nous voulons être la référence en sport sur le Net, un peu comme l’...quipe sur le papier. » Les concurrents, justement, se montrent relativement beaux joueurs. « Ils ont acquis une certaine expérience depuis 3 ans, leur travail est bon, admet Jean Hornain, directeur de l’equipe.fr. Ils sont très réactifs mais un peu trop factuels à mon goût. Les articles manquent de profondeur. » Mêmes commentaires embarrassés chez
sporever.fr, le site de Patrick Chêne, l’ex-patron des sports de France 2. Yann Lavoix, rédacteur en chef, remarque, ironique : « Nous y allons un peu par obligation, pour faire de la veille. Quoi qu’il en soit, ce sont des gens sérieux. Ils maîtrisent parfaitement leur outil. Je trouve que leur fil info est une bonne idée. Par contre, si on a lu l’...quipe du jour, il ne sert pas à grand-chose. »
Malgré ce succès d’estime, la rentabilité n’est pas encore au rendez-vous. Le chiffre d’affaires est pourtant passé de 95 000 francs en 1999 à 3 millions en 2000. L’objectif est de dépasser 20 millions de francs. Pour les fondateurs de Sport24, la solution viendra de la diversification. Un nouveau département, SportEdit, a été créé début 2001. Le but : fournir des sites clé en main à ses clients et les conseiller dans leur stratégie internet tout en continuant la syndication de contenu. Selon ses créateurs, SportEdit, qui dispose de sa propre équipe, devrait être largement bénéficiaire dans les six prochains mois et assurer 50 % des revenus de la société ; l’affiliation, 25 % ; le site, les 25 % restant. Un équilibre indispensable pour garder le maillot jaune.
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