La Toile russe compte de nombreux journaux et magazines en ligne, dont certains proposent une information critique et indépendante des autorités. Beaucoup de journalistes d’investigation se sont également tournés vers l’Internet pour pouvoir librement publier leurs enquêtes. " Nous n’en pouvions plus de voir nos articles sur les hauts fonctionnaires et les oligarques passer à l’as", confie Sergueï Sokolov. Ce journaliste a quitté la presse traditionnelle pour fonder le site d’investigation Free Lance Bureau (FLB) avec plusieurs confrères de renom. Mais, à l’instar de tous les médias d’opposition, ils ne sont pas l’abri de poursuites judiciaires pour " diffamation ". Plusieurs procès sont actuellement intentés contre des journalistes de son site, notamment par le ministre de l’Economie, Guerman Gref, et l’ancien directeur d’une entreprise gouvernementale de production d’armes, Alexandre Kotelkine, mis en cause par des articles de FLB. Sergueï Sokolov rappelle également les nombreuses tentatives d’intimidation dont il a fait l’objet et, surtout, la guerre des " kompromaty ", ces documents compromettants fabriqués de toutes pièces et publiés par les ennemis de FLB.
En 1998, la presse a révélé l’existence d’un plan des services de renseignements russes (FSB, ex-KGB) visant à instaurer un système de surveillance sur la Toile. Ce projet, intitulé SORM (littéralement " Système de recherches opérationnelles "), obligerait les fournisseurs d’accès russes à installer des infrastructures permettant aux branches locales du FSB d’avoir accès aux informations échangées en ligne. Les services secrets pourraient ainsi, sans le feu vert de la justice, intercepter, consulter, voire arrêter, les courriers électroniques des internautes. L’installation et l’entretien de cet équipement sont à la charge des fournisseurs d’accès... Même si ce plan du FSB n’a pas encore été adopté par le Parlement, SORM permet d’ores et déjà aux membres des services de renseignement de mettre la pression sur les fournisseurs d’accès, estime Sergueï Smirnov, représentant d’une organisation de défense des droits de l’homme sur la Toile, Pravozashtitnaïa set. Nail Murzakhanov, le directeur du fournisseur d’accès Bayard-Slavia Communications, à Volgograd (sud du pays), est le seul à s’être rebellé, début 2000, contre l’installation de SORM. Ne comptant pas plus d’un millier de clients, M. Murzakhanov a estimé que cette opération était bien au-dessus de ses moyens : entre 25 000 et 120 000 dollars, comprenant les frais de formation des officiers locaux du FSB et l’entretien du matériel. La section locale du FSB aurait alors, selon le témoignage de M. Smirnov, essayé de révoquer la licence de Bayard-Slavia avant d’ordonner une série de contrôles, techniques et financiers, dans ses locaux. Sous l’insistance du FSB également, l’autorité de régulation des télécoms, le Gosvyadnadzor, a coupé la liaison satellite du fournisseur d’accès. Nail Murzakhanov a cependant remporté, en septembre 2000, une victoire devant la Cour suprême. Se basant sur l’article 23 de la Constitution russe, qui stipule que " chacun a droit à l’intimité de sa correspondance, communications téléphoniques, courrier, télégrammes et autres communications ", cette dernière a annulé un arrêté du ministère de la Communication intimant l’ordre au fournisseur d’accès de se plier aux exigences du FSB.
" Depuis cet épisode, la plupart des providers russes ont compris qu’il vaut mieux s’entendre avec le FSB que de risquer de perdre sa licence ", explique Oleg Rodine, journaliste de Radio Svoboda à Moscou. Les plus grands, tels le fournisseur Glasnet, semblent d’ores et déjà s’être pliés aux exigences du FSB, souligne le journaliste avant de citer le témoignage d’un officier des renseignements qui se félicitait de la " compréhension " manifestée par les patrons des fournisseurs d’accès.
Fiche technique :
Population : 147,4 millions
PIB par habitant et par an : 4 370 dollars
Population urbaine : 73 %
Fournisseurs d’accès à Internet : N.D.
Internautes : plus de 3 millions
Un projet de loi, présenté par le Kremlin, aurait pu fragiliser la liberté d’expression sur le Net puisqu’il rendait obligatoire la possession d’une licence pour tous les sites d’information. Cette loi a heureusement été amendée en 2000 et l’enregistrement d’un site comme organe de presse en ligne est désormais facultatif.